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Entretien avec Pierre-Yves Maillard, in Le Temps, 3-4 octobre 2020

RédactionRevue de presse
La Nation n° 2159 9 octobre 2020

Dans la crise sanitaire que nous vivons, les autorités en font-elles trop?

La pression peut provoquer de l’emballement, mais cette maladie est sérieuse et provoque de vraies souffrances et tragédies. Comme syndicat, nous nous sommes engagés pour que les travailleurs à risque soient protégés. Mais nous nous battons aussi pour que l’économie ne s’effondre pas et que les salaires soient payés à la fin du mois. On ne peut pas faire comme si la Suisse ne vivait que pour la santé de ses citoyens. Comme parlementaire, j’essaie de soutenir les autorités, tout en invitant à ne pas trop utiliser l’arme de la peur. Des précédentes alarmes sanitaires de l’OMS, j’ai retenu qu’il faut garder une distance critique. Car autour de ces crises gravitent des gens qui poursuivent aussi leurs intérêts propres. […] Je comprends la problématique des ministres de la Santé, pour l’avoir été. C’est être dans une situation où vous pouvez devoir répondre devant un tribunal en cas de surmortalité. Cette judiciarisation est légitime dans certains cas, mais elle va aussi parfois trop loin. […]

Les scientifiques ont-ils pris le pouvoir?

Ils agissent de bonne foi. Mais les scientifiques, les médecins, les experts aussi ont des intérêts, des préoccupations, des obsessions et de multiples contradictions. L’expertocratie, ça ne marche pas. Les décisions reviennent aux politiques, qui doivent s’abstraire de la seule vision médicale qui ne rend pas compte de la complexité des choses. Quand vous voyez un cafetier qui pleure parce qu’on lui ferme son gagne-pain et l’œuvre de sa vie, il faut admettre son droit à demander au nom de quoi. L’argument suprême des vies sauvées a ses limites. Il est même indécent quand il est asséné sans preuve. Parce que sa vie et la nôtre perdent un peu de leur sens si, comme on peut le craindre, cette logique une fois installée ne s’en va plus. […]

Pensez-vous qu’on abuse aujourd’hui du principe de précaution?

Dans un premier temps, sous le choc, tout le monde a adhéré. Car on a cru qu’il fallait changer nos comportements le temps de faire passer la vague. Mais une fois le virus ramené à basse circulation, les épidémiologistes ont expliqué qu’il fallait tenir plus longtemps, jusqu’au vaccin, peut-être au-delà. Or restreindre les comportements humains pendant plusieurs années, c’est une tout autre histoire!

Avec des conséquences malheureuses?

Cette crise renforce une tendance lourde. Celle qui nous tient toujours plus à distance les uns des autres. Les GAFA nous revendent sur écran l’amitié, la séduction, les socialisations dont nous jouissions gratuitement et entre nous. Je crois au contraire qu’il est bon d’apprendre en regardant un professeur dans les yeux, de se séduire face à face, de se réunir pour travailler ou militer. Aujourd’hui, des mesures de prudence sont nécessaires. […] Ce qui est commun aux crises actuelles, c’est de considérer l’être humain comme une nuisance. C’était déjà le cas pour le climat. Désormais, les interactions humaines deviennent des vices en termes de santé publique. On moralise, on dit: «Si le virus revient, c’est notre faute ou celle des jeunes ou des voisins.» Le moment venu, il faudra résister à cette «nouvelle normalité». […]

D’ailleurs, le ras-le-bol grandit. Jusqu’à quand la population va-t-elle tolérer les restrictions?

Disons qu’il ne faut pas s’étonner si ça commence à tanguer. Vivre masqués, sans poignées de main, avec des menaces de fermeture permanentes commence à peser. Mais la majorité de la population continue d’adhérer, parce qu’on insiste beaucoup sur la nécessité d’avoir peur. Il faut faire attention. Cette stratégie peut provoquer de violents retours de balancier.

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