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Occident express 87

David Laufer
La Nation n° 2180 30 juillet 2021

Me revoilà sur Hvar, long doigt de rochers, de pins, d’oliveraies et de criques nageant au large des côtes croates depuis la nuit des temps. Posés sur le dos de cette créature sous-marine, nous n’en finissons pas d’explorer ses cicatrices karstiques, ses rives découpées et abruptes plongeant dans la mer turquoise. Il y a quelque chose qui me frappe sur cette île, outre sa suffocante beauté, c’est l’impression que le temps s’y est arrêté autour de 1975. Tout m’y rappelle en effet le sud de la France de mon enfance. Les petites routes d’asphalte fatigué serpentant parmi les oliviers, bordées de fossés ocres et ne permettant le croisement qu’avec des soulèvements de cœur. Les villages à moitié abandonnés, leurs maisons de pierres sèches aux toits écroulés pleines encore du souvenir des femmes vêtues de noir y pleurant leurs marins engloutis au large du Cap-Vert. Les baraques à frites ou à crêpes tenues par des écoliers des environs. Les supermarchés miniatures où l’on étouffe, trébuchant sur des cartons d’eau en bouteille. Les petits cafés fermés «pour cause d’enterrement», leurs devantures délavées, leurs fenêtres brisées par lesquelles entrent et sortent des générations de chats éborgnés. Ici, dans cette petite ville de Stari Grad, fondée il y a 2’400 ans par des colons grecs, le tourisme maritime de masse, avec ses rives infinies bordées de cafés et de restaurants servants tous des burgers et des pizzas et des grillades, les milliers d’enfants hurlant, le visage badigeonné de crème glacée rose suivant des parents épuisés et hagards, les bikinis brésiliens, les colliers en or sur des peaux huilées et brûlées, les pistolets à eau, le grondement sourd des discothèques environnantes, rien de tout cela n’est encore parvenu dans ce petit village. Rien n’est propret ici, rien n’est sale non plus. On vit encore, à Stari Grad, hors saison aussi, lorsque l’ennui, la marée haute et les matins frais forcent les insulaires, d’ordinaire volubiles et joueurs, à l’hibernation. En ce début juillet, les femmes débarquent de leurs yachts et déambulent en tenues d’été, aériennes et désirables comme celles que peignait Matisse à Nice, avec leurs petits chiens et leurs maris, nous regardant assis à nos terrasses comme des hippopotames dociles. Et je me souviens de Bormes ou de Hyères il y a 40 ans, et je sais ce qu’elles sont devenues. Et je remercie le ciel d’avoir mis cinquante kilomètres de mer et trente ans d’histoire entre la côte et nous.

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