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Polyphonie fédéraliste

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2191 31 décembre 2021

M. Jean-Pierre Siggen, chef de l’instruction publique fribourgeoise, président de la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin, se trouvait à la RTS le matin du 9 décembre pour parler des mesures prises par les autorités scolaires face à la pandémie.

La présentatrice, Mme Romaine Morard, impose d’emblée le ton RTS: «Les enfants […] sont les plus touchés par les contaminations lors de cette cinquième vague, pourtant les mesures sont inégales selon les cantons, masques, tests, aérations, cela va dans tous les sens, alors pourquoi si peu de coordination?» Saisissant la balle au bond, un petit sourire malin figé au coin de la bouche, le journaliste David Berger propose à M. Siggen de le renommer «Directeur du grand orchestre cacophonique de Suisse romande.» Son argument: «Quand on parle de masques par exemple, chaque canton a sa solution, pourquoi chaque canton joue sa partition dans cet orchestre?»

M. Siggen tient la position: «Je ne crois pas que l’homogénéisation de l’école soit plus efficace que la réalité cantonale. L’école est cantonale. Il faut que la population qui applique une mesure connaisse la mesure et accepte de l’appliquer, pour qu’elle soit efficace. […] Il n’y a pas de parents, ou très peu de parents qui auraient leurs enfants dans deux écoles obligatoires différentes, puisqu’on va à l’école du lieu où l’on habite.»

M. Berger s’accroche: «Vous dites que l’école est cantonale, ok, mais le virus n’est pas cantonal, et les courbes sont à peu près les mêmes un peu partout…» – «Les réalités cantonales, répond M. Siggen, ne sont pas forcément les mêmes. Dans le canton de Fribourg, on a beaucoup de petits établissements, ce n’est pas forcément la réalité d’un canton urbain.»

Le fédéralisme est plus compliqué, mais plus efficace parce que plus proche de la réalité. Dans cette affaire, il n’y a de cacophonie que quand un canton s’emmêle lui-même les pattes, ou quand la Confédération prétend traiter identiquement des entités cantonales différentes. Tant les autorités fédérales que les autorités cantonales l’on dit et démontré mille fois ces derniers temps. Mais la RTS bloque sur cette question et en revient toujours à son credo de base: si tout le monde ne parle pas d’une seule voix et ne marche pas du même pas, c’est un cas de «cacophonie».

Par bonheur, dans la presse aussi règne une certaine, et bienheureuse, cacophonie. C’est ainsi que, dans Le Regard Libre No 79 du 20 novembre, M. Jonas Follonier écrit en éditorial1: «Chaque canton gère un système hospitalier qui lui est propre, compte une certaine mentalité au sein de sa population, est géographiquement situé plus ou moins proche de foyers du virus, etc. De plus, dans un contexte de grande incertitude, le tracé d’une vision s’impose, mais aussi une certaine modestie. Cela rend particulièrement pertinentes les comparaisons entre pays, mais aussi entre cantons dans le cas de la Suisse. L’idée étant que la concurrence des mesures amène à une utilisation optimisée des ressources.»

M. Follonier conclut en rappelant un fondement du fédéralisme: «Il ne faut jamais oublier que le fédéralisme n’est pas une délégation de compétences “par le haut”, de la Confédération aux cantons, mais “par le bas”: les cantons, avec le peuple, décident des compétences qu’ils jugent bon de remettre à la Confédération.»

Selon un vieil argument fédéraliste, chaque canton est un laboratoire d’essai, formule particulièrement pertinente en l’occurrence. Chacun travaille sa partition de son côté, car l’harmonie doit d’abord se trouver au niveau cantonal. Et puis, les chefs de département se réunissent et comparent leurs résultats. Certaines procédures s’imposent d’évidence à tous les cantons, d’autres sont utiles pour quelques-uns, ou pour un seul, d’autres retournent au néant. Et on repart pour un tour, car la politique ne s’arrête jamais.

La partition politique, fantasque et pleine d’imprévus, souvent dissonante, s’écrit en temps réel au fur et à mesure du temps qui passe et des situations qui changent et souvent nous submergent. Aussi, les règles immuables de la composition – la diversité fédéraliste en est une – doivent-elles constamment être rappelées aux esprits courts et aux gens pressés, bref, à tous ceux qui privilégient l’esprit de système et sa cacophonique monotonie.

Notes:

1    «Gestion du Covid en Suisse: trop de fédéralisme ou pas assez?

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