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Occident express 96

David Laufer
La Nation n° 2191 31 décembre 2021

Depuis plusieurs années on parle beaucoup en Serbie des réserves de lithium de la vallée du Jadar, dans l’ouest du pays. Le lithium est un minerai stratégique qui permet la construction de batteries pour les voitures électriques. A elles seules, les réserves serbes sont les plus importantes en Europe, dit-on, et permettraient la construction d’un million de voitures par an. La compagnie minière anglo-australienne Rio Tinto se propose donc d’investir deux milliards d’euros pour extraire le précieux butin. Elle le vendra ensuite aux fabricants automobiles allemands et français qui dépendent encore essentiellement du lithium d’importation. Face à un enjeu d’une telle ampleur stratégique, la Serbie est sommée de céder sans faire de problèmes, ainsi que le révèlent des discussions diplomatiques qui ont fuité dans la presse. Ces fuites occasionnent depuis trois semaines des protestations très vives dans toute la population, notamment parce qu’elles soulignent un degré de cynisme ahurissant de la part de toutes les parties concernées. Ces parties, on en dénombre trois: le gouvernement serbe, Rio Tinto et les gouvernements des pays industriels qui réclament ce lithium. Le gouvernement serbe sait que cette exploitation revient à sacrifier la vallée du Jadar et ses 20 000 habitants dans un enfer écologique; mais allez trouver deux milliards d’euros de revenus ailleurs. Rio Tinto ment avec effronterie sur l’innocuité du projet et multiplie les offrandes de verroterie aux populations sauvages; mais allez trouver un gisement en Europe où les gens sont d’accord de se faire exproprier pour 200 000 euros maximum. Et les gouvernements étrangers font pression sur les Serbes pour qu’ils cèdent leur lithium, même si eux-mêmes en ont parfois plus que la Serbie; mais, sans même parler des aspects financiers, allez exproprier des Allemands ou des Français pour un projet minier. En Serbie, la combinaison fatale de faiblesse politique et économique, la non-appartenance à l’UE et l’opacité entretenue par un président omnipotent rendent ce désastre prévu possible. Et à peu près certain en réalité pour qui connaît l’histoire. En 1941, Hitler sommait la Serbie encore neutre de lui laisser le droit de traverser son territoire pour atteindre la Grèce. Le Régent Paul Karadjordjevitch avait cédé – et ainsi scellé sa chute en se faisant immédiatement renverser par des putschistes, qui scellèrent ainsi l’oblitération de Belgrade dans le bombardement de la Wehrmacht du 6 avril. Tout cela était prévisible et d’ailleurs prévu. Ainsi Rio Tinto, ou un autre, emportera le marché du lithium, la Serbie se fera exploiter car elle n’a quasiment pas de pouvoir de négociation, et le gouvernement vendra cela comme une grande victoire. Pendant ce temps, la véritable catastrophe minière serbe se poursuivra sans provoquer la moindre petite manifestation, celle qui voit les multinationales miner sa population à un rythme industriel. Pour 2020 seulement, le déficit démographique est de 50 000 personnes. Chaque année, une ville entière oblitérée par la globalisation économique. Les citoyens se soulèvent pour préserver l’intégrité écologique de leur pays, mais ces mêmes citoyens quittent leur pays en masse pour faire tourner les usines de voitures allemandes et les hôpitaux français. On se bat pour préserver des campagnes… en désertification accélérée. Dans la grande idée européenne de libre-circulation des biens et des personnes, c’est le mot «libre» qu’il faudrait examiner de beaucoup plus près.

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