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Transgenres et école vaudoise

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2192 14 janvier 2022

Un transgenre est celui dont le genre, tel que lui-même le ressent, ne correspond pas à son sexe biologique. Le transgenre se sent femme, alors qu’il est physiquement et juridiquement un homme. Ou l’inverse. On parle alors de «dysphorie de genre».

Le non-binaire est le trans dont le genre ressenti ne se contente pas de la binarité masculin/féminin: ainsi, le bigenre a deux genres, l’agenre n’en a pas, le «gender-fluid» passe de l’un à l’autre. Toutes les combinaisons sont envisageables.

Pour le Département de la formation, de la jeunesse et de la culture, les homosexuels, les transgenres et les non-binaires sont les principales victimes du harcèlement scolaire. C’est le terme donné à l’antique cruauté enfantine. Mais cela va plus loin. En fait, tous les aspects de la société occidentale, structurée autour du rapport homme-femme, rappelleraient douloureusement au transgenre son statut d’anormal et de minorité: des toilettes séparées aux difficultés de la langue française. Mme Cesla Amarelle a donc lancé au printemps 2021 un vaste plan de lutte contre le harcèlement scolaire, en particulier contre l’homophobie et la transphobie à l’école.

Une directive sans légitimité

Une nouvelle «directive pour l’accompagnement des élèves trans et non binaires dans la scolarité obligatoire et postobligatoire»1 est entrée en vigueur au 1er janvier. Mme Amarelle l’avait présentée le 13 décembre. Ce calendrier a empêché toute discussion. La directive impose aux enseignants de respecter toute demande sans portée juridique émanant de l’enfant se prétendant transgenre. Ils l’appelleront ainsi par le prénom de son choix. A la gym, le vestiaire des filles lui sera ouvert. Et leurs dortoirs au camp de ski.

La directive fait à peine quatre pages. Elle renvoie officiellement au Guide de bonnes pratiques lors d’une transition de genre dans un établissement scolaire et de formation, élaboré par la Fondation Agnodice. Cette fondation lausannoise se donne pour but de «défendre les droits des personnes trans et non binaires, notamment par un meilleur accès à la santé pour les transitions médicalisées»2.

Le Département transforme donc en droit vaudois un document jargonneux de trente-deux pages édité par une fondation purement privée. Et cela se passe sans aucun contrôle du pouvoir législatif.

Militantisme sociétal

Le guide d’Agnodice insiste sur le malaise et les contestations morales et politiques que soulève la question trans dans la population. Cette affirmation n’est pas une mise en perspective visant à nuancer son action, mais une profession de foi militante. Le guide s’ouvre par un avertissement, plus polémique que scientifique, à vrai dire, contre les «fausses informations et distorsions» diffusées par des «associations, collectifs et individus non-professionnels, nostalgiques de l’ordre social et des pratiques médico-sociales maltraitantes qui ont prévalu durant près de 50 ans».

Ses auteurs admettent qu’en Suisse l’opposition à leurs conceptions est forte. Mais au contraire de ses contempteurs, Agnodice se référerait à des faits scientifiques «validés par des milliers de professionnels». L’accusation de complotisme pointe déjà le bout de son nez. Au nom de la science, toute controverse est condamnée à l’avance.

La procédure d’accompagnement de la transition se centre sur la volonté de l’élève et de son autonomie. Aucun facteur extérieur ne doit entraver la prise de conscience par l’enfant de sa dysphorie de genre. On qualifie cette posture de «trans-affirmative». La Fondation Agnodice s’en revendique ouvertement3. La directive précise que toute forme de désapprobation de la démarche de transition risque de constituer une atteinte à l’équilibre physique et psychique du trans, ou à ses droits. Cette conception écarte toute possibilité alternative d’explication du malaise de la personne. Il s’agirait d’éviter de pathologiser la transsexualité.

Un risque d’emballement

Une enquête de Mme Anna Lietti, journaliste à Bon pour la tête, montre que cette approche ne convainc pas vraiment les responsables de la nouvelle consultation «Dysphorie de genre» du CHUV4. Devraient-ils donner des bloqueurs de puberté sur simple demande de l’enfant se prétendant transgenre, sans aucun suivi psychiatrique au motif que cela fait obstacle à l’autonomie de l’enfant? L’approche doctrinale «autonomiste» du DFJC pourrait ne pas rencontrer l’unanimité dont il se prévaut.

Les promoteurs des droits des transgenres, Agnodice en tête, rejettent la possibilité d’un effet de mode et se défient de toute incitation à la transition. C’est vite dit: les réseaux sociaux regorgent d’influenceurs et de vidéastes se vantant de leur transition, au risque de banaliser l’énorme violence physique et morale d’une transition réalisée par la chirurgie et les prises d’hormones. La sociologie déconstructionniste est le fond de commerce doctrinal des transaffirmatifs. Cela implique un important risque d’emballement. La figure du trans constitue une trop belle preuve que le genre est absolument détaché de la biologie. Obnubilés par les prémisses égalitaires de leur méthode, ils en refuseront toute critique.

Et la famille?

Dans cette conception, la famille joue le rôle de suspect. Premiers (re)producteurs des «stéréotypes de genre», les parents sont rapidement soupçonnés de faire obstacle à la transition de leur rejeton. Dans 24 heures du 13 décembre 20215, Mme Adèle Zufferey, psychologue à la Fondation Agnodice, s’est octroyé un pouvoir de décision proprement étatique, affirmant que si une famille devait s’opposer aux démarches en cours, et que l’élève était en danger (du point de vue des intervenants) l’école se contenterait d’informer les parents «de ce qui serait fait sans leur accord». Cet empiètement sur les prérogatives parentales est inacceptable. Il n’est pas certain qu’un enfant soit toujours capable de discernement, surtout dans une matière aussi délicate. Et ce n’est qu’une partie du problème. Un directeur d’école n’est pas un tribunal autorisé à limiter l’autorité parentale. Son rôle n’est pas non plus de mettre en place des mesures psychologiques sans contrôle médical.

Cette directive, adoptée hâtivement à la veille des vacances et des élections, est fondée sur une philosophie déconstructiviste des plus contestables. Mme Amarelle force le passage en évacuant a priori toute opposition de principe ou de pratique. Elle règle ainsi, avec une désinvolture incroyable, un problème effroyablement délicat, plein d’obscurités et d’incertitudes.

Sommes-nous vraiment les seuls à penser cela?

Notes:

1    Elle est disponible à l’adresse: https://www.vd.ch/toutes-les-autorites/departements/departement-de-la-formation-de-la-jeunesse-et-de-la-culture-dfjc/decisions-dfjc/

2    Fondation Agnodice, Elèves trans et non-binaires, Guide de bonnes pratiques, p. 5. Il s’agit de la phrase d’ouverture de sa présentation.

3    «Seule l’approche transaffirmative se positionne comme respectueuse des identités trans* et de leur intégration dans un espace thérapeutique et de soins bienveillant et non pathologisant.» (Fondation Agnodice, Elèves trans et non-binaires, Guide de bonnes pratiques, p. 6).

4    Lietti Anna, «Trans, détrans: alertes pour un scandale annoncé», in Bon pour la tête, 1er octobre 2021. En libre accès sur www.bonpourlatete.com

5    Collet Cécile, «L’Etat va faciliter la vie des élèves trans et non-binaires», in 24 heures du 13 décembre 2021.

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