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Menaces sur la liberté

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 2192 14 janvier 2022

Dans son éditorial «La liberté à géométrie variable», du site Bon pour la tête1, M. Jacques Pilet livre quelques réflexions inquiètes sur l’avenir des libertés individuelles et collectives. L’accroche est un article de M. Bertrand Kieffer, publié par Le Regard libre, dans lequel le chroniqueur médical propose de repenser la notion de liberté dans le cadre de la mondialisation climatique et sanitaire.

M. Pilet pose d’emblée la question essentielle, celle de savoir qui serait légitimé à «repenser» les libertés, surtout que l’opération a toutes les chances de déboucher sur une restriction desdites libertés. En tout cas pas les politiques, dont M. Pilet constate qu’ils aiment un peu trop l’état d’urgence, qui leur permet de gouverner par ordonnance, court-circuitant les usages, les droits individuels et les procédures ordinaires.

D’une manière générale, M. Pilet s’afflige de ce qu’on pense plus à fact-checker à coups d’algorithmes qu’à exercer l’esprit critique. Il se rebiffe contre l’esprit de soupçon, de dénonciation et d’interdiction qui souffle de tous les côtés. Nous sommes trop d’accord pour ne pas essayer de prolonger l’analyse.

La liberté souffre du progrès technique, notamment dans le domaine numérique. On nous objectera que la technique est neutre et que c’est l’usage qui la rend bonne ou mauvaise. Soit. Il reste qu’une technique omniprésente, même neutre, même au service des gentils, crée des possibilités d’abus inconnues auparavant. Quand un gouvernement installe des milliers de caméras dans les rues pour mieux traquer les criminels, ses caméras traquent aussi le bon citoyen. «Je m’en moque, je n’ai rien à cacher», fanfaronne celui-ci. C’est à voir. D’abord, ce n’est pas vrai, personne n’a rien à cacher. Ensuite, tout secret n’est pas répréhensible. Le garder peut être vital. Enfin, tout appareil de contrôle généralisé met le citoyen dans la dépendance possible d’un Etat qui n’est pas forcément au-dessus de tout soupçon à tous les étages administratifs. Cette perspective à elle seule entrave l’exercice aimable et tranquille de la liberté personnelle.

Ajoutons que, dans un système aussi quadrillé, le comportement vertueux résulte moins d’une décision libre cadrée par les usages que d’une obligation imposée par la crainte de l’Etat. Politiquement et moralement, la différence est essentielle.

Exagérons-nous? M. Pilet mentionne en passant le système de «crédit social» que l’Etat chinois est en train de mettre en place. C’est une sorte de carte à points qui, sur la base des rapports permanents de six cents millions de caméras et probablement d’autant de sycophantes, récompense ou punit le comportement du citoyen. Celui qui conduit en état d’ivresse, traverse au rouge, s’absente aux cours ou brûle les feuilles de son jardin perd des points. Il ne peut plus emprunter à la banque, ni voyager à l’étranger ni même à l’intérieur du pays. A l’inverse, il gagne des points en dénonçant les transgresseurs, en plantant des arbres, en aidant les personnes âgées, en remboursant ses dettes à temps, etc. L’intérêt de la fourmilière administrative absorbe ici les libertés.

Nous n’en sommes certes pas là, mais il n’est pas absurde de craindre que les exigences sanitaires actuelles de l’Etat ne nous déresponsabilisent au point que nous nous habituions à vivre sous un régime liberticide, voire que nous en arrivions à le désirer. Cette perspective explique la véhémence de beaucoup d’antivax.

Une autre menace sur les libertés résulte du passage que nous vivons d’une société «patriarcale» à une société maternante. C’est une société encoconnante et intrusive qui s’intéresse moins à préserver l’indépendance du pays, l’autonomie des familles, la vitalité des corps intermédiaires et les libertés individuelles qu’à garantir la santé du citoyen. Le souci politico-sanitaire n’est pas récent en Suisse, la pandémie n’a fait que le mettre au premier plan. 

Oui, le citoyen responsable et bien élevé veille scrupuleusement sur son corps. Il ne consomme pas trop sucré, ni trop salé, ni trop gras, ni trop carné. Il ne boit pas et il ne fume pas. On le protège d’ailleurs en réduisant continuellement la publicité pour l’alcool et le tabac2. Il dort ses huit heures et fait ses dix mille pas chaque jour, compteur en main. Des panneaux à l’entrée des communes le félicitent ou le grondent (binette souriante ou fâchée) selon qu’il respecte ou non les limitations de vitesse. Il est vacciné envers et contre tout. Cela fait beaucoup d’obligations et d’interdictions, beaucoup de conseils impérieux et de contraintes indirectes, beaucoup de niaiseries infantilisantes et, du même coup, de moins en moins de liberté.

La liberté d’expression elle aussi va mal. Tout le monde en est en principe un ardent partisan, mais presque tout le monde la limite à un échange prudent dans les limites des idées reçues. C’est que les autres idées ne sont pas des idées, mais des mensonges, du complotisme, des incitations à la haine, des moqueries inacceptables: elles ne sauraient bénéficier de la liberté d’expression. La duplicité évidente de cette distinction sophistique n’est jamais dénoncée.

Il faudrait encore énumérer les mille petites pertes quotidiennes de liberté dont souffrent les familles, les collectivités paroissiales et communales, les cantons, les entrepreneurs, les propriétaires et tous ceux qui exercent une quelconque responsabilité dans le pays. En fait, la maîtrise technique à laquelle tend la modernité semble se passer très bien de la liberté. A suivre.

Notes:

1    Bon pour la Tête, 17 décembre.

2    Non à l’initiative «Enfants et jeunes sans publicité pour le tabac». Voir l’article de la p.2.

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