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Chemins de fer: y a-t-il un pilote dans le Canton?

Benoît de Mestral
La Nation n° 2193 28 janvier 2022

Distraits par le Sonderbund, et peut-être par les revenus des nombreux péages, les Confédérés se sont lancés dans l’aventure ferroviaire avec un retard de près de vingt ans sur le reste de l’Europe; ils ont ainsi inauguré une longue tradition que les CFF s’affairent à maintenir encore aujourd’hui, dès qu’un flocon isolé menace.

L’histoire de l’avènement des chemins de fer en Suisse est tout à fait intéressante et illustre bien les tensions entre centralisation et souveraineté cantonale qui existent encore aujourd’hui. En 1850, le Conseil fédéral mandate deux experts britanniques pour développer un projet de réseau ferroviaire fédéral. Deux ans plus tard, allant contre la volonté du Conseil fédéral, l’Assemblée fédérale permet la création de réseaux de chemins de fer privés, laissant aux cantons la compétence d’octroyer les concessions nécessaires. C’est ainsi que naît la première voie ferrée du Pays de Vaud, qui relie Yverdon à Morges en passant par Bussigny.

Après huit ans seulement, la Suisse possède le réseau ferroviaire le plus dense d’Europe, sur un schéma remarquablement proche de ce qu’avaient proposé les experts consultés par le Conseil fédéral, alors que son développement n’a été guidé que par les sensibilités politiques des cantons et les forces du marché. La guerre franco-prussienne révèle toutefois l’insuffisance du réseau pour le déplacement de troupes, ce qui ouvre la voie au transfert des compétences de planification à la Confédération; la conjoncture économique n’est pas favorable à la continuation de l’expansion du réseau, et les entreprises existantes fusionnent avant d’être nationalisées à la fin du siècle.

Après que la seconde moitié du XXe siècle a vu l’automobile prendre le dessus, les mentalités changent à nouveau, en faveur de l’écologie et des transports en commun, et notre utilisation du rail augmente considérablement. Cette nouvelle préférence en matière de mobilité, couplée au développement démographique, sature notre réseau ferroviaire. Le récent effondrement de la voie à Tolochenaz, dû – douce ironie – à l’installation d’un chauffage à distance «vert», a encore démontré la fragilité du réseau sur lequel reposent notre économie et tout espoir de transition énergétique.

A la suite de cet incident, notre parlement ainsi que celui de nos voisins genevois ont interpellé les autorités fédérales afin d’exiger le développement d’une nouvelle voie Lausanne-Genève à l’horizon 2035. Seulement voilà, la fameuse troisième voie était déjà au programme du projet Rail 2000 en 1986, avant de se transformer en un projet Genève-Coppet faute de fonds fédéraux et de volonté de la part des cantons de participer au financement. Le projet est ensuite revenu en 1994, 1998, 2007, 2009, 2018… Pour autant que le projet aboutisse bien en 2035, il aura fallu cinquante ans pour réussir à poser moins de cent kilomètres de rail.

Replaçons ce nombre dans une perspective historique, en comparaison avec les grand projets d’infrastructure dans le Pays de Vaud: au XVIe siècle, le canal d’Entreroches fut réalisé en douze ans avant d’offrir cent nonante ans de prospérité à notre Pays et à ses voisins; imaginée en 1844, la voie ferrée Yverdon-Morges est validée en 1852 et construite en trois ans, le Canton faisant preuve d’initiative alors que l’Assemblée fédérale traîne à valider sa Loi sur les chemins de fer; après la votation populaire fédérale de 1958, le tronçon autoroutier Lausanne-Genève est achevé en cinq ans.

Combien de temps nos gouvernements auraient-ils encore délaissé les infrastructures de l’arc lémanique, sans l’effondrement de Tolochenaz? Pour autant que leur réponse unanime n’ait pas eu pour seul objectif de sauver l’image des politiques responsables de l’urgence de la situation, la tant espérée troisième voie devrait arriver en 2035, soit dix ans avant le million d’habitants. Nos élus d’alors trépigneront-ils eux aussi pendant des décennies avant de répondre aux besoins de la population?

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