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Souveraineté: du singulier au pluriel

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2197 25 mars 2022

La guerre en Ukraine aurait révélé l’insuffisance de nos souverainetés – au pluriel, nous y reviendrons – alimentaire, énergétique et même numérique.

Le gaz russe représente la moitié de notre approvisionnement gazier. A l’heure où nous mettons sous presse, l’Union européenne n’a encore prononcé aucun embargo. Mais, certes au risque de subir d’importants manques à gagner, Vladimir Poutine peut en tout temps couper le robinet.

L’Ukraine est aussi le grenier du continent. Selon l’Union suisse des paysans1, ce n’est qu’en matière de fruits à pépins que la Suisse s’auto-approvisionne intégralement. Le conflit va obligatoirement affaiblir la production ukrainienne, et donc augmenter les prix au niveau mondial. Même avec un taux d’auto-approvisionnement en blé de 78%, la Suisse n’y échappera pas. Ne serait-ce que parce que, pour les autres céréales alimentaires, ce même taux plafonne à 54%.

De manière plus difficile à saisir, le conflit ukrainien met également en danger l’industrie des services numériques externalisés. Ce pan de l’économie ukrainienne était avant la guerre l’un des plus dynamiques d’Europe. On estime à 250 000 le nombre de travailleurs ukrainiens actifs dans le domaine de la sous-traitance informatique2. Après l’alimentation et l’énergie réside ici aussi un enjeu de souveraineté… numérique.

Les Chambres fédérales viennent de clore leur première session de l’année. Chaque groupe parlementaire y est allé de sa batterie de questions et d’interpellations sur la crise ukrainienne. Le domaine de la défense militaire et l’approvisionnement en gaz ont été au cœur des débats. La droite a profité, à raison, d’attaquer la gauche sur ses trente ans d’aveuglement antimilitariste. Les Verts, tout en accusant le PLR et l’UDC de «récupérer la souffrance du peuple ukrainien pour acheter des chars», ne manquèrent pas de récupérer cette même souffrance pour «accélérer la transition énergétique» en voulant se libérer des énergies fossiles.

En parallèle, et malgré ces positions souvent justifiées, ces partis continuent de s’écharper sur l’Union européenne, Schengen, le Conseil de sécurité de l’ONU, et même – pour les plus téméraires – la nécessité de l’armée. Souveraineté oui, mais quand ça les arrange.

S’engager pour ces trois pans de notre souveraineté (numérique, alimentaire, énergétique) n’a de sens que si l’on admet préalablement la nécessité d’un principe général de souveraineté. Il ne s’agit pas ici d’adhérer abstraitement à un concept juridique dont l’existence est admise, mais de prendre conscience de ce que cette souveraineté au singulier recouvre. Selon l’antique tripartition westphalienne, elle recouvre une population, un territoire et des institutions. En Suisse et en Pays de Vaud, ces dernières sont peut-être encore plus denses et riches qu’ailleurs. Leur sens découle de leur dimension communautaire: les institutions servent à perpétuer les œuvres humaines à travers les générations. Elles assurent ainsi la durabilité de nos réalités quotidiennes. Il en est de même de l’autonomie communale, du fédéralisme, des libertés corporatives, de l’armée ou encore de la famille.

Cela implique donc de conserver un équilibre entre les expressions concrètes de la souveraineté, qu’elles soient alimentaires, énergétiques ou numériques. Ces trois pans – mais il y en a encore d’autres si l’on pense à la souveraineté militaire, institutionnelle, fiscale ou sociale – sont en fait sans aucune utilité si on se contente de les prendre individuellement, pour les monter en épingle comme la seule souveraineté qui tienne.

Prenons un exemple. Dans La Nation du 11 février dernier, M. Jean-François Cavin dénonçait les promesses de graves atteintes au fédéralisme et à l’autonomie communale que recèle le nouveau projet de loi sur l’énergie. Au nom de la souveraineté énergétique, du développement de l’énergie verte, Mme Sommaruga se prépare à concentrer en une seule procédure les autorisations de projets hydrauliques et éoliens. De ce fait même, elle retire aux cantons la liberté de fixer une bonne part des procédures applicables à de tels projets. On ajoutera que la loi vide de son sens l’autonomie communale en la matière. Il s’agit ici d’un exemple typique de déséquilibre entre une souveraineté perçue sous un seul de ses angles, et le respect général de nos institutions, au premier chef desquelles les souverainetés cantonales et le fédéralisme.

Il est évident que notre auto-approvisionnement peut et doit être accru, autant que possible et dans de nombreux domaines. Mais pas en sacrifiant ce que la souveraineté a pour fonction de protéger.

Notes

1  https://www.sbv-usp.ch

2  https://www.silicon.fr/ukraine-industrie-it-choc-conflit-433320.html

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