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Pourquoi Dieu est-il Père et non Mère?

Denis Ramelet
La Nation n° 2197 25 mars 2022

Aux alentours de la mi-janvier, l’agence de presse Protestinfo a publié un article signé Lucas Vuilleumier intitulé «Faut-il démasculiniser Dieu?». Cet article a été repris dans Le Temps, Le Courrier, 24 heures… L’article nous apprend que deux pasteurs (un homme et une femme) de l’Eglise protestante de Genève ont produit un document proposant de «démasculiniser» Dieu en suggérant de ne plus lui attribuer seulement le pronom «il», mais aussi le pronom «elle», sans oublier le prétendu pronom neutre «iel». Toujours selon l’article, la démarche est appuyée par Laurence Mottier, modératrice de la Compagnie des pasteurs de Genève. Pour l’heure, l’accueil semble être plus réservé au niveau de l’Eglise évangélique réformée de Suisse, la «faîtière» des Eglises réformées cantonales.

L’article rapporte deux arguments de fond en faveur de la «démasculinisation» de Dieu. D’une part «les textes bibliques sont situés dans le temps et ont été écrits par des hommes, pour des hommes». D’autre part, «les femmes ne peuvent pas se reconnaître et inclure leur réalité féminine dans leur vie de foi si Dieu n’est que masculin». Ces deux arguments, que nous allons discuter, ne sont pas nouveaux: ils constituent le fond de la «théologie féministe», dont les bases ont été posées entre la fin des années soixante et le début des années huitante par un certain nombre de théologiennes, pour la plupart américaines et catholiques.

La raison est-elle sociologique?

La masculinité du Dieu de la Bible s’explique-t-elle par le contexte «patriarcal» dans lequel auraient été écrits l’Ancien et le Nouveau Testament? Commençons par rappeler que, pour les chrétiens, la Bible est la Parole de Dieu: c’est Dieu qui a inspiré aux différents rédacteurs (Moïse, David, Jérémie, Mathieu, Paul…) de parler de lui en termes masculins. Dieu sait ce qu’Il fait. Ensuite, la vision simpliste selon laquelle l’humanité aurait vécu sous le régime du «patriarcat» depuis l’aube des temps jusqu’au milieu du XXe siècle mériterait d’être nuancée1. Enfin et surtout, tant la religion cananéenne, contemporaine de l’Ancien Testament, que la religion gréco-romaine, contemporaine du Nouveau Testament, étaient des religions polythéistes dont le panthéon comportait non seulement des dieux, mais aussi des déesses.

Ainsi donc, si les divers rédacteurs tant de l’Ancien que du Nouveau Testament s’étaient laissé inspirer moins par Dieu que par le contexte socioculturel dans lequel ils vivaient, la représentation qu’ils auraient donnée de Dieu aurait été moins masculine. Or la représentation de Dieu qui se dégage de l’ensemble de la Bible est clairement masculine, en particulier par l’utilisation de pronoms exclusivement masculins2.

La raison est théologique

Pourquoi donc Dieu, qui est l’être absolu, qui transcende toute détermination limitative, qui n’est donc pas un être à proprement parler sexué, choisit-Il d’assumer, vis-à-vis de l’humanité à laquelle Il s’adresse, une certaine masculinité, que ce soit au travers des textes bibliques qu’Il a inspirés ou, de manière encore plus frappante, en s’incarnant en un être humain de sexe masculin, Jésus-Christ? Fondamentalement, parce que le Dieu de la Bible crée «en dehors» de lui, comme engendre un homme, et non pas «en dedans» de lui, comme engendre une femme. Ecoutons à ce propos le théologien réformé Paul Wells:

La distinction “ père ” et “ mère ”, à propos de Dieu, dans le langage, est celle qui existe entre le théisme biblique et le panthéisme. Dans le théisme biblique, le Dieu transcendant, Créateur, instaure une séparation entre lui-même et le monde; dans le panthéisme [ou le panenthéisme], le monde existe en dieu et dieu existe dans le monde.

Et Paul Wells de conclure: «appeler Dieu “ ma Mère ” est une hérésie qui conduit au panthéisme païen»3.

Dans son rapport à ses créatures, Dieu est donc fonctionnellement masculin. Face à lui, la Création et l’Eglise sont fonctionnellement féminines (bien que l’une et l’autre soient constituées pour moitié de mâles biologiques). «L’Eglise est femme» a déclaré le pape François dans son homélie du 1er janvier 2022, à la suite de saint Paul qui nous dit que l’Eglise est l’épouse du Christ (Eph. 5:32), dans la ligne du thème des noces entre Dieu et son peuple, qui parcourt l’Ancien et le Nouveau Testament, depuis les prophètes Esaïe (54:5) et Osée (ch. 1 à 3) jusqu’à l’Apocalypse (19:7-9), en passant par la parabole du festin des noces (Mt 22:1-14).

Un problème pour les femmes?

Ou plutôt pour les hommes?

La masculinité fonctionnelle de Dieu constitue-t-elle un obstacle à l’épanouissement spirituel des femmes, comme le prétendent les théologiennes féministes? Ce serait le cas si l’épanouissement spirituel consistait à s’identifier à Dieu, comme le professent les diverses doctrines pan(en)théistes d’hier et d’aujourd’hui4. Or, selon le théisme juif et chrétien, l’épanouissement spirituel consiste non pas à s’identifier à Dieu5, mais à l’aimer: «Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée. C’est le premier et le plus grand commandement» (Mt 22:37-38, citant Dt 6:5). Or l’amour suppose l’altérité et non l’identité.

Cela a pour conséquence que la masculinité fonctionnelle de Dieu est en réalité plus problématique pour les hommes que pour les femmes. En effet,

L’âme de l’homme, comme celle de la femme, est, en effet, en « situation féminine» par rapport à Dieu. L’avantage de la femme, c’est qu’elle accepte habituellement cette « situation» avec plus de facilité que l’homme, et que sa vie s’incarne plus aisément.6

C’est sans doute pour cette raison que les femmes ont de tout temps été majoritaires dans les assemblées chrétiennes… et qu’elles le resteront probablement jusqu’à la fin des temps.

Notes:

1  Voir, par exemple, les ouvrages de la médiéviste Régine Pernoud, en particulier La femme au temps des cathédrales et La femme au temps de croisades.

2  On trouve même une bizarrerie grammaticale dans l’Evangile de Jean: Pneuma (l’Esprit), qui est un nom neutre, y est repris deux fois (Jean 14:24 et 16:13-14) par ekeinos (celui-là), qui est un pronom masculin.

3  Paul Wells, «Dieu: masculin et/ou féminin?», La Revue réformée n° 217, Aix-en-Provence, mars 2002, pp. 31 et 33.

4  Par exemple: dans l’Antiquité, la philosophie de Plotin; au Moyen Age, la théologie de Maître Eckhart; de nos jours, le fatras du New Age ainsi que certains courants du développement personnel.

5  L’injonction du Christ à imiter la perfection du Père (Mt 5:48) suppose la non-identification de la créature au Créateur: on ne s’imite pas soi-même, on imite toujours un autre.

6  Françoise Danniel et Brigitte Olivier, La gloire de l’homme c’est la femme, éd. du Chalet, Lyon, 1965, p. 80.

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