Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Les forces territoriales - Un outil précieux pour la politique de sécurité

Edouard Hediger
La Nation n° 2203 17 juin 2022

Le stratège Carl von Clausewitz proposait dans son ouvrage Vom Kriege une liste des avantages du défenseur sur l’attaquant. Parmi ceux-ci, l’actualité ukrainienne nous invite à nous intéresser en particulier à la Landwehr.

La Landwehr, que l’on traduirait aujourd’hui par défense populaire ou garde nationale, était une importante réforme prussienne suite aux catastrophiques défaites de 1806 à Iéna et Auerstedt face à Napoléon. Elle devait être la réponse à la levée en masse républicaine française, conçue comme un moyen de générer rapidement une grande capacité militaire. Clausewitz relève que la Landwehr est plus précieuse pour la défense que pour l’attaque en raison de forces morales élevées et d’un important ancrage territorial. En effet, son utilisation est intentionnellement locale, circonscrite à une zone géographique définie. Elle constitue un système formel qui permet aux citoyens n’étant pas incorporés dans les troupes régulières de défendre leur foyer.

Les moyens lourds d’une armée sont rarement stratégiquement décisifs mais donnent un avantage à l’infanterie. Nous l’avons relevé dans une précédente Nation, il ne suffit pas d’avoir une artillerie pléthorique pour contrôler un pays. Le général Pétain l’évoquait en 1922: «L’artillerie conquiert, l’infanterie occupe.» La guerre en Ukraine montre que ce postulat est toujours d’actualité. D’un côté, les Russes disposent de moyens de feu à longue portée capables d’infliger des pertes substantielles aux Ukrainiens mais manquent cruellement de l’infanterie nécessaire au contrôle des zones occupées. De l’autre côté, les Ukrainiens alignent une importante force de défense territoriale qui s’apparente à la Landwehr.

Ces forces territoriales sont un atout pour plusieurs raisons. Premièrement, elles contribuent à la protection des infrastructures critiques, approvisionnements, axes de communication, etc. Elles tiennent des checkpoints, assurent une présence militaire loin du front et limitent les actes de sabotage. Elles soulagent ainsi les troupes d’élite plus lourdement équipées et destinées au combat décisif. Dans une guerre de haute intensité, ces forces rapidement mobilisables peuvent affaiblir l’adversaire et attaquer ses arrières. Cela s’est vérifié en Ukraine où les brigades territoriales ont absorbé l’essentiel de l’offensive de Moscou durant les premiers jours. Elles ont profité de la désorganisation russe pour mener un combat de chasse contre l’adversaire en progression et son ravitaillement, offrant ainsi du temps à l’armée de campagne pour se préparer.

Deuxièmement, par leur ancrage territorial et leur proximité avec la population dont elles sont issues, ces forces sont des senseurs hors pair quand il s’agit de renseigner les autorités et le commandement militaire sur un terrain dont elles connaissent parfaitement chaque recoin. Elles sont à même de déceler des changements au sein de la population ou de la rassurer. Elles garantissent le lien avec les organisations de police ou de sauvetage et collaborent avec les institutions civiles.

Troisièmement, ces forces sont une réserve légèrement armée mais capable de monter rapidement en puissance. Encadrées par des vétérans de l’élite, équipées et formées en quelques jours sur des systèmes modernes décisifs, ces forces peuvent agir comme un démultiplicateur des effectifs et contribuer à la liberté de manœuvre du chef militaire.

Finalement, les forces territoriales permettent de limiter les perturbations générées par les réseaux alliés de partisans en les intégrant dans la structure militaire formelle afin de canaliser leur bonne volonté. S’ils ne sont pas conduits, ces partisans peuvent perturber les actions de l’armée régulière, par exemple en sabotant des voies de communications nécessaires à la mobilité des propres troupes. Le colonel Hans Frick le soulignait dans son bréviaire tactique: «La guérilla ne donne des effets satisfaisants que lorsqu’elle est conduite par le haut. Les exploits de quelques francs-tireurs sans plan d’ensemble n’auront le plus souvent qu’un médiocre rendement.»

Dans un conflit de basse ou de moyenne intensité, l’incorporation de citoyens plus âgés dans les forces territoriales n’est pas un problème puisque la protection d’infrastructures critiques, par exemple, ne requiert pas la même endurance physique ni le même savoir-faire aux armes que le combat de haute intensité. Ces forces doivent être équipées légèrement et de manière décentralisée, afin d’être mises sur pied rapidement sans recourir à une logistique pondéreuse. Elles peuvent même être nourries et logées par l’habitant.

La Suisse a connu un système de Landwehr qui incorporait les hommes de 33 à 42 ans. Elle défendait les frontières, et assurait la défense aérienne ou des tâches de protection au profit de l’armée de campagne. Le principe a été abrogé avec la réforme Armée 95 après le choix d’une réduction des effectifs au vu de l’évolution favorable du contexte de politique de sécurité. Si elles peuvent être efficaces dans les combats de contre-insurrection, les petites armées high-tech professionnelles ne permettent pas de gagner des conflits de haute intensité. L’expérience ukrainienne montre que la capacité de générer des réserves est un des facteurs clés du succès. Les forces territoriales peuvent être une solution. Le spectre du retour de la guerre de haute intensité en Europe a poussé plusieurs pays à se doter de forces territoriales, à l’instar de la Heimevernet norvégienne ou de la Ligue de défense estonienne. D’autres pays y réfléchissent et les futurs développements de l’armée suisse prennent déjà en compte la nécessité de disposer de forces territoriales légères. Nos conscrits pourraient un jour à nouveau servir dans la Landwehr.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: