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Du parti agraire à l’UDC

Jean-François Cavin
La Nation n° 2203 17 juin 2022

Des batailleurs! C’est ainsi qu’on pourrait, en un mot, faire le portrait des agrariens vaudois durant le siècle d’existence de leur parti. Fêtant leurs 100 ans en 2021, ils ont commandé une histoire de leur mouvement à M. Olivier Meuwly, l’insurpassable connaisseur de l’histoire politique suisse et vaudoise des XIXe et XXe siècles. Et cette histoire est plutôt mouvementée. Leur nom a d’ailleurs changé plusieurs fois: le Parti agraire des débuts est devenu le Parti national paysan, puis le Parti des paysans, artisans et indépendants (longtemps connu sous le sigle PAI), avant de devenir l’UDC vaudoise dans la foulée du parti suisse. Le cap politique a tout autant varié, comme on verra. Mais trois choses demeurent au fil des décennies, des réformes internes et parfois des crises: la pugnacité au service de la cause paysanne, un patriotisme un peu exclusif exaltant les valeurs nationales cultivées par la classe moyenne, et un esprit d’indépendance rebelle aux conformismes du moment.

Batailleurs contre le parti radical, que les fondateurs, à Zurich en 1917, à Berne en 1919 et chez nous deux ans plus tard, jugeaient trop mou dans la défense du monde rural. Batailleurs contre le grand capital suspect de s’enrichir en négligeant le sort des petits paysans et artisans. Batailleurs durant des lustres contre les privilèges des fonctionnaires. Batailleurs contre le parti suisse à certaines occasions. Batailleurs contre eux-mêmes lors de soubresauts internes.

D’un siècle de grands combats et de solides coups de gueule, il est assez difficile de dégager une ligne politique. Disons que cette ligne est sinueuse. Si l’UDC actuelle passe pour être le parti le plus «à droite» de Suisse et du Canton, son ancêtre vaudois, dans les années 1930, virait à gauche et s’est allié occasionnellement avec les socialistes et même l’extrême gauche. Mais aussi avec Arthur Fonjallaz, connoté fasciste, dans sa lutte contre les francs-maçons! Lors des scrutins fédéraux, ils ont été parfois fédéralistes et parfois non: ils ont soutenu le premier projet de loi fédérale sur l’aménagement du territoire, heureusement en vain. Les origines chrétiennes de beaucoup de ses membres les ont rendus sensibles à la question sociale et leur soin de la terre aux questions environnementales, où ils furent pionniers à certains égards; ils tentèrent même de faire une place en leur sein au jeune mouvement écologiste. Qu’en reste-t-il aujourd’hui?

Imprévisibles à plus d’un titre et d’ailleurs très minoritaires, ils ont été tenus longtemps à l’écart du pouvoir par les radicaux dominants et leurs alliés libéraux. Un tournant est pris lorsque les radicaux, ayant perdu un siège au profit des socialistes en 1956 et voyant un troisième socialiste entrer au gouvernement en 1958, s’attachent à renforcer le centre-droite en offrant désormais une place au PAI sur la liste de la nouvelle Entente vaudoise. Et Marc-Henri Ravussin sera élu. Il n’a d’ailleurs pas un caractère accommodant dans ses idées politiques, et le PAI, au sein de l’Entente vaudoise, passera durablement pour un partenaire incertain, placé à la gauche de la coalition. Le positionnement sera plus centriste lorsque Marcel Blanc puis Jean-Claude Mermoud accéderont au Conseil d’Etat. Et depuis que l’UDC vaudoise s’est plus ou moins rapprochée de la ligne blochérienne, le parti a renforcé sa clientèle citadine et sa députation au Grand Conseil comme au Conseil national… mais n’a pas pu rester au gouvernement, plus ou moins ostracisé par une partie du camp bourgeois!

Mais faut-il vraiment placer ce parti à un endroit précis, entre droite et gauche, de l’éventail politique? Les agrariens ont généralement témoigné de beaucoup d’indépendance d’esprit; on les a décrits parfois comme des râleurs invétérés; ils sont en tous cas souvent critiques à l’égard des gouvernants. Francs de collier, ils n’acceptent pas d’entrer dans un moule. Ceux qui, au temps de l’Entente vaudoise, venaient défendre une position, comme orateurs hors partis, devant les assemblées radicales et PAI sentaient bien la différence. Chez les radicaux, la discipline régnait, le comité directeur faisait connaître son préavis et le malheureux contradicteur n’avait guère de chance de renverser la vapeur, sauf si la voix forte d’un Marc-Henri Chaudet ou d’un Pierre Jomini venait à son aide. Chez les agrariens, au contraire, les avis les plus opposés s’exprimaient toujours sans retenue et le suspense durait jusqu’au vote de l’assemblée.

L’ouvrage de M. Meuwly intéressera les amateurs d’histoire politique vaudoise. Le cheminement des agraro-UDC y est décrit avec précision et objectivité: ce n’est pas un panégyrique. Les silhouettes de personnalités marquantes – et bien marquées! – du parti sont joliment dessinées, celle du père fondateur Albert Wulliamoz, celles – outre les conseillers d’Etat déjà cités – d’Albert Brochon, de Charles Bettens, d’Olivier Delafontaine, de Pierre Teuscher, de Jean-Pierre Berger et d’autres. Et, à travers les hauts et les bas de ce curieux parti, on suit un siècle de politique électorale vaudoise, avec les heurs (voire les heurts!) et malheurs de tous ceux qui voulaient conserver ou conquérir le pouvoir.

Référence:

Olivier Meuwly, L’UDC vaudoise 1921-2021, De l’opposition paysanne au néoconservatisme, Infolio Editions 2022, 224 p., illustré.

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