Qu’est-ce qu’un «élevage intensif»?
Au menu des votations fédérales du 25 septembre prochain figure l’indigeste initiative populaire «Non à l’élevage intensif en Suisse». Le Conseil fédéral, suivi par le Parlement, recommande au peuple et aux cantons de la rejeter1.
Les 27 190 Vaudois qui l’ont signée, alors qu’il n’y a eu que 25 027 paraphes zurichois, souhaitent en réalité supprimer la viande de nos assiettes.
Le nouvel article 80a qui devrait être introduit dans la Constitution fédérale invite le législateur à protéger « la dignité de l’animal dans le domaine de la garde d’animaux à des fins agricoles», la dignité de l’animal comprenant le droit de ne pas faire l’objet d’un élevage intensif. Cette notion désigne «l’élevage industriel visant à rendre la production de produits d’origine animale la plus efficace possible et portant systématiquement atteinte au bien-être des animaux».
Les dispositions d’exécution peuvent certes prévoir des délais transitoires de 25 ans au plus, mais si la législation n’est pas entrée en vigueur dans les trois ans à compter de l’acceptation de l’initiative, le Conseil fédéral doit édicter des dispositions par voie d’ordonnance.
La législation d’exécution doit fixer des exigences qui correspondent au moins à celles du cahier des charges 2018 de Bio Suisse. Ce cahier des charges, dans sa version actuelle, n’autorise que deux poulaillers de 2 000 poules pondeuses par exploitation. Pour les poulets à l’engraissement, sont seuls autorisés quatre troupeaux de 500 bêtes chacun.
Ce qu’il faut savoir, c’est que la Suisse a fixé des effectifs maximums, de telles limites n’existant pratiquement pas à l’étranger. Il s’agit des 18 000 poulets à partir de 43 jours d’engraissement et de 18 000 pondeuses de plus de 18 semaines. De telles règles existent aussi pour les porcs et les bovins d’engraissement2.
La plupart des producteurs d’œufs, de poulets, de chair et de viande, de porc en particulier, devraient réduire drastiquement leur cheptel si l’initiative passait. Il n’y aurait alors plus aucune rentabilité et ces exploitations cesseraient leur activité liée à la production de viande. Pour continuer à consommer de tels produits, les grands distributeurs pourraient théoriquement se tourner vers l’étranger pour importer massivement ce qu’on ne produirait plus chez nous. Mais l’initiative impose à la Confédération d’édicter des dispositions interdisant l’importation de produits d’origine animale qui ne respecteraient pas les principes de l’initiative. De telles exigences étant inconnues chez nos voisins, nous ne pourrions plus importer de viande et d’œufs.
Pourquoi affirmer que l’objectif à long terme de cette initiative est d’interdire la consommation de produits d’origine animale? L’organisation qui a lancé l’initiative se nomme «Sentience Politics». Son objectif et de «placer les intérêts des animaux non humains au cœur de la société». Elle préconise la RRRévolution, soit qu’il n’est permis de nuire à un animal que s’il peut être prouvé qu’il n’existe aucune alternative valable. Or, dans le secteur agricole, selon cette organisation, des millions d’animaux sont tués après quelques mois de vie, sans qu’il soit nécessaire d’apporter la moindre preuve de l’absence d’alternative. Il convient dès lors de réduire le nombre d’animaux utilisés dans l’agriculture lorsqu’il sera possible d’assurer une alimentation équilibrée sans produit d’origine animale. Enfin, les produits d’origine animale doivent être évités et remplacés3.
La dignité de l’animal est pourtant et clairement mise en avant par la Loi fédérale sur la protection des animaux et son ordonnance d’exécution4. On laisse le lecteur parcourir ces textes, sévères et détaillés. La Loi sur l’agriculture, ainsi que celles sur la protection de l’environnement, sur l’aménagement du territoire et sur la protection des eaux empêchent la prolifération d’exploitations hors sol. Diverses normes exigent que les déjections des animaux puissent être épandues sur les terres desdites exploitations. Il y a aussi des normes concernant la quantité de fourrage à disposition. Il ne faut pas omettre non plus les paiements directs destinés à favoriser le bien-être animal par la promotion de systèmes de stabulation respectueux et les sorties régulières en plein air. Il faudrait un numéro complet de ce journal pour résumer tout ce qui est prévu en matière agricole pour assurer le bien-être animal et la durabilité, sans compter tout ce qui est mis en œuvre pour promouvoir l’agriculture biologique.
C’est la raison pour laquelle cette initiative doit être rejetée. Ce qu’elle promeut pour les animaux et l’environnement est déjà solidement ancré dans les textes légaux et réglementaires en vigueur. Elle serait donc inutile. Son acceptation aurait pour effet de ruiner de nombreux agriculteurs et de nous obliger dans quelques années à satisfaire nos besoins en protéines animales en mangeant des grillons domestiques, des criquets migrateurs et des vers de farine.
Nous voterons non à ce texte excessif et inutile.
Notes:
1 Message du Conseil fédéral du 19 mars 2021, Feuille fédérale 2021 1244.
2 Ordonnance sur les effectifs maximums, RS 916.314.
4 Loi fédérale sur la protection des animaux, RS 455.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- L’homme augmenté – Editorial, Olivier Delacrétaz
- Les ténèbres du PLR – Daniel Laufer
- Du parti agraire à l’UDC – Jean-François Cavin
- La numérisation de l’administration fédérale – Antoine Rochat
- Une affaire en règles – Jeanne-Françoise Weinkeller
- Les forces territoriales - Un outil précieux pour la politique de sécurité – Edouard Hediger
- Toute l’Angleterre – Jean-François Cavin
- Principes du libéralisme – Jacques Perrin
- A la chasse aux fake news – Frédéric Monnier
- Abondance de cornes – Le Coin du Ronchon