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Un éclairage inattendu

Jacques Perrin
La Nation n° 2215 2 décembre 2022

A suivre les médias romands, notre époque ne semble pas engageante. En gros, on nous promet l’apocalypse, une fin du monde qui ne serait pas une révélation (signification du mot grec apokalupsis, titre du dernier livre de la Bible). On ne cesse pas de dresser la liste: réchauffement climatique insupportable, raréfaction des métaux et des sources d’énergie, extinction des espèces, perte de la biodiversité, pandémies, guerre mondiale, guerre nucléaire, inégalités croissantes, surpopulation ou dépopulation et vieillissement, migrations sauvages, etc.

Parfois, en guise de consolation, on nous dit qu’un autre monde est possible: celui de la sobriété, de la résilience, de l’égalité enfin réalisée entre riches et pauvres, entre l’homme, la femme et les enfants, voire entre l’être humain et l’animal (pâtres bienveillants et loups conviviaux); chacun (et chacune) vivra son orientation sexuelle en toute liberté, gèrera une mort choisie, fera ce qu’il voudra quand il le voudra, à condition bien entendu de respecter la planète après avoir fait un sort aux outrances capitalistes.

Ce monde meilleur nous semble à peine plus désirable que l’apocalypse.

Comment résister à la désespérance qui nous gagne? Deviendrons-nous éco-anxieux? Nous rangerons-nous au côté des grands-parents pour le climat?

Il existe entre nous et la réalité un voile tissé par les médias et les réseaux sociaux universels. Nous aimerions voir les choses de plus près, par nous-mêmes, ou du moins entendre des voix mettant en doute la version la plus répandue des faits, commentée en continu par des scientifiques qu’il faut écouter, des chercheurs et des chercheuses, des psychologues, climatologues, experts et autres épidémiologistes, tous témoins de la vérité.

La Nation se réclame du réalisme politique et philosophique. Le réaliste, méfiant, s’emploie à voir la réalité non comme il désire qu’elle soit, mais telle qu’elle est. Il admet que les émotions nous signalent des dangers, mais il ne se laisse pas submerger par elles. Il cherche à les contrôler, à résister à leur présence envahissante dans nombre de médias. Il évite de voir les choses en noir ou en rose utopique. Il y a diverses techniques pour déchirer le voile médiatique: s’occuper de ce qui nous regarde, du pays où l’on vit; se tenir éloigné autant que possible des réseaux sociaux, des radios et TV; lever les yeux de son téléphone portable, observer les gens, leur parler; se balader dans les campagnes ou les quartiers près de chez soi, qu’on croit connaître; regarder ce qui se passe dans les bistrots, les transports publics ou les terrains de sport; lire les classiques; lire des livres surprenants.

Ainsi il y a quelques années, alors que l’histoire des pays musulmans ne nous attire pas, nous avons lu Fascination du djihad, fureurs islamistes et défaite de la paix (2016), écrit après les attentats de Paris par un professeur d’histoire médiévale du monde musulman à l’université de Paris-X. Le livre nous avait semblé juste et mesuré, sans plus. En cette fin d’année, nous avons dévoré La traîne des empires, impuissance et religion (2022), du même auteur, Gabriel Martinez-Gros, qui nous a fait forte impression. Nous nous sommes ensuite penché sur Brève histoire des empires: Comment ils surgissent, comment ils s’effondrent (2014), sur l’Empire islamique, VIIe-XIe siècle (2019) et L’Islam, l’islamisme et l’Occident, genèse d’un affrontement (2013). Nous avons aussi écouté sur YouTube des conférences et entretiens donnés par le professeur, septuagénaire souriant, loquace et savant.

Dans son livre de 2022, Martinez-Gros se risque à la philosophie de l’histoire, ce qui n’est pas pour nous déplaire, car, pour reprendre une formule connue, l’histoire sans la philosophie est aveugle, la philosophie sans l’histoire est vide. Le propos de l’historien français, né à Oran, se fonde en grande partie sur l’enseignement d’un sage musulman du XIVe siècle, Ibn Khaldoun. Cette source éclaire de façon nouvelle, pour nous du moins, l’histoire de l’Islam et celle de l’Occident; nous nous décentrons quelque peu de la vision occidentale dominante, progressiste et orientée sur un futur infini.

Martinez-Gros prend des risques qu’il assume. Il prédit que la parenthèse occidentale, fondée sur une domination scientifique, technique et militaire, ouverte autour de 1800, se refermera en 2050. Il a des vues pénétrantes sur la démographie, la distinction du temporel et du spirituel dans la chrétienté et l’islam, le rapport entre l’abondance et l’usage de la force, ainsi que sur le surgissement possible d’une religion nouvelle.

Ces thèmes nous préoccupent. Nous y reviendrons.

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