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Les placements et la morale

Jean-François Cavin
La Nation n° 2219 27 janvier 2023

Les placements du Fonds de compensation de l’AVS sont sous le feu de la critique de certaines ONG, d’un professeur de HEC et du principal quotidien vaudois qui étale le problème sur une double page: une partie de ses investissements contribuerait à financer des activités néfastes pour la planète. Cela pourrait aussi concerner d’autres détenteurs de capital, et notamment les principaux d’entre eux: les caisses de pensions. Nous voici, par ce biais, en plein dans la problématique des «entreprises responsables».

Pour le Fonds de compensation de l’AVS, qui gère 34 milliards de francs suisses, les investissements controversés ne montent qu’à 1,5 milliard, dans les énergies fossiles, l’automobile, les minerais, le secteur aérien, les armes, le tabac et quelques autres domaines. On dira que cela reste marginal; admettons toutefois que, si c’est vraiment condamnable, la quantité n’importe guère.

Le directeur de Compenswiss, l’organisme qui gère cette fortune, a du répondant. Il objecte tout d’abord aux reproches que son travail consiste à garantir les meilleures prestations aux assurés, et non à améliorer le monde. Il ne faut en effet pas perdre de vue cette priorité. Il me souvient d’une séance du conseil de fondation d’une caisse de retraites, il y a plusieurs décennies, où un syndicaliste pur et dur voulait prohiber les placements dans l’industrie d’armement, qui fait couler le sang, dans la grande distribution, qui payait mal son personnel, dans les entreprises commerçant avec l’Afrique du Sud, alors sous embargo international mais où la Suisse se bornait à maintenir le «courant normal» des affaires, ce qui interdisait tout placement dans nos grandes banques; au fil de ce réquisitoire, le gérant pâlissait, se demandant où diable il pourrait encore investir. Si on y ajoute, de nos jours, tout ce qui est susceptible de polluer, la pratique des placements devient en effet un casse-tête.

La seconde objection est qu’il est plus constructif de participer aux sociétés traitant ou utilisant les énergies fossiles pour favoriser leur transition énergétique que de s’abstenir. L’influence d’un actionnaire très minoritaire est-elle notable? L’argument tient peut-être du vœu pie.

La troisième objection est que le recours au pétrole, la consommation du tabac, l’usage de l’automobile ou de l’avion sont, finalement, parfaitement licites: il ne faut pas oublier les normes légales. On trouvera peut-être que c’est un peu court: car la loi pénale ne vise pas à imposer des comportements recommandables, mais à prohiber ce qui trouble certainement l’ordre public. Une attitude volontairement vertueuse ne peut que forcer l’admiration. Ne perdons toutefois pas de vue le dispositif légal; car il se réfère à des normes généralement admises, consacrées par le droit après débat; alors que les tendances de l’opinion sont sujettes à caution.

En effet, les jugements portés par Pierre, Jacques ou Jean, ou par telle ONG, ou par tel journaliste sur l’activité des sociétés incriminées restent largement subjectifs et discutables. Condamner le pétrole, alors que la Confédération vient d’inviter les entreprises qui le peuvent à abandonner le gaz pour revenir au mazout? Exposer au pilori l’industrie automobile, alors qu’elle est utile à des millions de Suisses et qu’elle se convertit à l’électricité? Sanctionner telle multinationale pétrolière, alors qu’elle investit dans les techniques nouvelles de captation du CO2? Mettre au ban l’industrie d’armement occidentale alors que l’Ukraine en attend des renforts?

Il est sans doute bon que les investisseurs songent à la qualité de leurs placements, et non seulement à leur rendement. Que chacun le fasse selon ses convictions et ses possibilités, en toute conscience, mais sans être harcelé par des censeurs moralisants.

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