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La symphonie au régime minceur

Jean-Blaise Rochat
La Nation n° 2219 27 janvier 2023

Si la seule évocation du nom d’Arnold Schönberg vous raidit comme un fétiche arumbaya à l’oreille cassée, arrêtez ici la lecture et servez-vous une verveine. En revanche, si vous avez deux oreilles disponibles, poursuivez et préparez-vous à une expérience musicale mémorable.

En 1906, Schönberg estime que la musique d’orchestre est engagée dans une impasse: la plupart des symphonies de cette époque exigent des orchestres gigantesques et durent souvent plus d’une heure, voire deux. Trop c’est trop. Pour Schönberg, qui vénérait Mahler et ses vastes symphonies (la 6e vient de paraître), il ne s’agit pas de rejeter tous les savoirs accumulés, mais de rester fidèle à une tradition par l’exploration de voies nouvelles. L’héritage, c’est Bach, Mozart, et plus proche, Brahms et Wagner, voire Liszt. Voilà les fées qui se sont penchées sur le berceau de la Symphonie de chambre pour 15 instruments solistes op. 9. Elle dure moins de vingt-cinq minutes en flux ininterrompu. Cependant on peut y distinguer, plus ou moins, les quatre mouvements habituels d’une symphonie classique (allegro, scherzo, adagio, finale), et les éléments de la forme sonate traditionnelle.

C’est une œuvre optimiste, riche d’invention mélodique et contrapuntique, portée par un élan irrésistible. L’audition (et l’exécution!) en est toutefois exigeante, parce que le but du compositeur n’était pas de diminuer, mais de condenser la matière musicale. Il s’est départi de la sensualité moite et inquiète, atmosphère dominante de la Verklärte Nacht op. 4, pour nous livrer une partition musclée et bariolée. Le langage a clairement basculé du postromantisme vers l’expressionnisme: à cette époque, Schönberg se met à la peinture, guidé par ses amis Gerstl et Kandinsky. En conséquence, son orchestre prend des couleurs vives et contrastées. La Kammersymphonie signe l’apogée de la période tonale de son auteur. Eh oui, bien que la tonalité soit souvent bousculée, cet énergique chef-d’œuvre est en Mi majeur!

A 83 ans, Heinz Holliger est encore en pleine activité. Il vient tout juste d’achever l’enregistrement d’une remarquable intégrale des symphonies de Schubert à la tête du Kammerorchester Basel. En février 2021, en pleine saison covidienne, le maître bernois réunissait les musiciens de l’Orchestre de Chambre de Lausanne pour la captation de cette géniale symphonie. Comme un bonheur n’arrive jamais seul, Holliger nous offre sa subtile orchestration des Six petites Pièces op. 19 pour piano. D’austères miniatures en pointe sèche, elles deviennent, par la magie de la plume de Holliger, des sortes de haïkus rêveurs et colorés.

Le programme est complété par deux œuvres d’Anton Webern: l’énigmatique Symphonie op. 21 et les Fünf Sätze op. 5 pour cordes. L’interprétation de l’OCL est un modèle de précision et de poésie. La beauté des timbres et la parfaite lisibilité des lignes donnent à ces musiques une évidence qu’elles ne possèdent pas spontanément. Le CD est paru chez Fuga Libera en 2022. Il complète celui sorti en 2013 chez Zig-Zag Territoires avec les mêmes interprètes, qui comprenait Verklärte Nacht op.4 et Chamber Symphony no 2 op.38. Les deux albums composent ainsi une intégrale indispensable de la musique pour orchestre de chambre du maître de la deuxième Ecole de Vienne. Les revues musicales Classica et Diapason ont attribué la note maximale à ces deux enregistrements. Au milieu d’une discographie assez fournie, c’est une véritable consécration pour nos musiciens lausannois.

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