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Qui doit changer de mentalité?

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 2220 10 février 2023

Trois membres du Conseil synodal, organe exécutif de l’Eglise évangélique réformée vaudoise, ont démissionné et partiront en août. Un autre membre, aujourd’hui remplacé, était déjà parti il y a peu. Qu’est-ce qui ne fonctionne pas? Plusieurs explications sont invoquées, en plus des soucis de santé de l’un ou de l’autre: une charge de travail excessive; un pouvoir de décision insuffisant; une opposition trop systématique du Synode; un manque de professionnels dans les cadres; des moyens insuffisants.

L’agence de presse Protestinfo a publié, dans 24 heures du 28 janvier, un article intitulé «Qui pour diriger l’Eglise évangélique réformée vaudoise?» Parmi les personnes interrogées, le pasteur Xavier Paillard, ancien président du Conseil synodal, met en cause le blocage du Synode, écho du blocage de maints pasteurs et paroissiens: «Tant que les mentalités ne changeront pas, toute personne accédant au Conseil synodal sera mise en échec dès qu’elle essaiera d’assumer ses responsabilités.»

«Il faut changer les mentalités», cette formule standard des réformateurs expéditifs n’est pas dénuée de prétention. Elle signifie que le Conseil synodal sait ce qu’il faut faire et que le Synode l’en empêche parce qu’il ne comprend rien. C’est un peu facile: la formule dénie d’emblée toute pertinence à l’argumentation des opposants, sous-entendant que celle-ci procède d’une mentalité dépassée et de critères obsolètes.

De l’avis de Mme Laurence Kohli, «la plus jeune des délégués au Synode», l’épuisement des conseillers synodaux prouve que «d’importants changements sont
à effectuer dans le modèle de gouvernance de l’EERV». Quelques mots précisant la nature de ces «importants changements» n’auraient pas été de trop et nous éviteraient de supposer le pire: s’agit-il pour elle d’augmenter ou de réduire les compétences du Conseil synodal? celles du Synode? celles des conseils paroissiaux? celles des régions1? Les offices et services centraux de l’Eglise doivent-ils être étendus? maintenus? réduits? Les «ressources humaines» doivent-elles dépendre d’un professionnel, même agnostique, ou d’un pasteur expérimenté? Les relations avec la Fédération des Eglises protestantes de Suisse doivent-elles se renforcer? Ou l’Eglise vaudoise doit-elle mieux y défendre son autonomie lors de décisions théologiques ou politiques? Etc.

Le pasteur Vincent Guyaz, vice-président du Conseil synodal, constate que le peuple de l’Eglise ne s’intéresse guère à ce genre de débats: «Cela suscite évidemment quelques préoccupations, mais […] ces problèmes n’intéressent pas nos membres au premier chef car ils ont surtout à cœur de faire vivre la mission et que tout se passe bien dans leur paroisse respective.» M. Guyaz pose bien notre problème: entre la vie religieuse actuelle, claudicante et souvent décevante, mais réelle, et un «modèle de gouvernance» théorique, lequel doit inspirer et diriger l’autre? Faut-il partir de la réalité paroissiale, avec les mentalités qu’elle inspire et entretient, ou tout changer en adoptant hardiment un modèle de gestion moderne, centralisé, spécialisé, en adéquation avec le monde actuel, censément plus simple et plus efficace, mobile (on dit plutôt agile, aujourd’hui) plutôt qu’enraciné?

En réponse à la même question, il y a déjà plus de vingt ans, la grande mutation «Eglise à venir» optait pour le second terme de l’alternative. Cette modernisation structurelle prévoyait même, dans sa première version, la suppression de la personnalité juridique des paroisses. Elle substituait, à l’équilibre de l’organisation presbytéro-synodale, un système entrepreneurial, plus rationnel mais aussi, par la force des choses, plus autoritaire. Vingt ans après, le système n’est toujours pas entré dans les mentalités.

On peut incriminer tous les blocages passéistes qu’on veut. Il reste que c’est encore dans le cadre des paroisses, et parfois des régions, que l’Evangile se vit au quotidien, que les relations, à l’intérieur de l’Eglise, entre l’Eglise et la société ainsi qu’entre les confessions chrétiennes, se nouent le plus naturellement et le plus efficacement. C’est aussi à travers elles que la plupart des initiatives de l’Eglise se réalisent. Même si elles ne sont plus ce qu’elles étaient, les paroisses restent les cellules de base de l’Eglise.

Le Conseil synodal devrait reconnaître que les membres récalcitrants du Synode, dont nous sommes, ne désirent pas le moins du monde affaiblir le pouvoir exécutif, mais uniquement protéger et renforcer, améliorer aussi – nous pensons notamment au statut incertain des régions – ce qui existe, et qui, face au tourbillon menaçant des idéologies contraires, reste un gage de continuité.

On ne peut gouverner durablement contre le peuple, même si l’on pense qu’il a tort. On ne peut continuer à vouloir fourguer un «modèle de gouvernance» à des paroisses et à des fidèles qui n’en veulent pas. Ce sont les réformateurs qui doivent changer de mentalité. Et c’est cela que devront prendre en compte aussi bien les candidats aux trois postes vacants du Conseil synodal que ceux qui les éliront dans un mois.

Notes:

  1. Le récent rapport, retiré, du Conseil synodal sur la gouvernance affirmait la nature fédérative des relations entre les paroisses et leur région. Il ne précisait pas, toutefois, si le mouvement fédérateur provenait des paroisses, se réunissant en région en cas de besoin, ou si les paroisses étaient une fédération procédant d’un pouvoir régional et soumise à lui.

Craintes

Des tensions internes de l’Eglise, on peut craindre deux conséquences. La première serait l’apparition, dans les rangs du Synode, d’une tendance hyperparlementariste visant à priver le Conseil synodal de toute autonomie et à soumettre la moindre de ses décisions au vote du «législatif».

Il se pourrait aussi que certaines paroisses se dirigent vers une sorte d’autosuffisance paroissiale, en tenant pour rien le rôle propre de l’Eglise cantonale, avec les risques de sectarisme et de renfermement sur soi-même que cela comporte

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