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Davel à l’Opéra de Lausanne

Jean-François Cavin
La Nation n° 2220 10 février 2023

En création sur la scène de Georgette, le Davel écrit par le librettiste René Zahnd et le compositeur Christian Favre est une oeuvre bien réussie. Tout est de qualité: le scénario, le texte, la musique, la mise en scène, le visuel, l’interprétation.

Le scénario évite la platitude de la chronologie en centrant l’action sur les interrogatoires dans le cachot de la Cité; les épisodes marquants de la vie du major sont traités comme des réminiscences (on ne parlait pas encore de flaches-bèques chez nos ancêtres du XVIIIe siècle) ou des rêveries du prisonnier; cela permet d’alterner la noirceur de l’incarcération avec des tableaux plus colorés, à Villmergen ou à Cully, et de revoir en imagination, à plusieurs reprises, le passage de la Belle Inconnue. Le récit reste fidèle à l’histoire, heureusement. M. Matthieu Chenal, le critique de 24 heures, regrette que les auteurs n’aient pas davantage pris parti et actualisé l’affaire en brodant sur la désobéissance civile; car Davel ne colle pas sa main aux pavés de la Palud et ne joue pas au tennis devant ses juges; on échappe donc à des effets faciles et bêtifiants, le personnage du héros et les faits de l’époque ayant suffisamment de charge émotive et de mystère sans qu’on en rajoute.

Le texte de M. Zahnd est beau parce que ses mots sont simples.

La musique de M. Favre est d’un grand intérêt, à la fois savante et parlante. Savante, car elle joue du rapport avec plusieurs styles, du chromatisme au modal, des élans massifs au contrepoint: on repère au passage quelques fugues rigoureusement construites; et l’orchestration est très subtile. Parlante, car elle se calque sur l’action dramatique et sait nous élever vers le sublime, en particulier dans la scène principale de la Belle Inconnue où la mort – une mort très douce – frôle le jeune Jean Daniel Abraham; c’est un des sommets expressifs de l’œuvre. D’aucuns regrettent qu’il n’y ait pas assez de tels moments, où la musique se déploie pour elle-même; il est vrai que le «durchkomponiert», axé sur le dialogue, ne favorise pas l’éclosion du lyrisme et peut créer une certaine lassitude (ressentie peut-être à la fin du Ier acte). Mais l’ensemble est de haut vol.

La mise en scène, qui reste sobre, nous offre quelques beaux tableaux, notamment la reproduction vivante de celui de Gleyre! Des diaporamas évoquent les lieux de la vie de Davel, loin du cachot; ils sont souvent très réussis, sous des ciels sombres qui évitent l’impression de voir des chromos.

Les interprètes, tout en dignité, sont à la hauteur de l’histoire et de l’œuvre. Le rôle du major, constamment sur scène comme jeune homme, comme officier, comme insurgé, comme prisonnier, comme condamné, est écrasant (d’autant plus qu’on lui écrase les doigts dans une étape du supplice) et renversant (d’autant plus qu’on le pend par les pieds dans une autre phase de la question). M. Régis Mengus s’y montre impressionnant. Le rôle de Wattenwyl, qui mène l’interrogatoire avec intelligence et une certaine humanité, est très intéressant, et bien tenu. A l’avenant pour les autres solistes et le chœur; et l’orchestre met bien en valeur les finesses de la partition.

Cet opéra n’aurait pas vu le jour sans M. Vigié, le directeur de notre opéra, un Français! C’est lui qui a imaginé cette création et accompagné les auteurs. Ses relations dans l’Hexagone permettront-elles d’y représenter Davel? Le héros vaudois peut-il intéresser les mélomanes d’outre-Jura? L’œuvre le mérite, et ce serait une belle revanche pour le major que de conquérir la France. Mais on doute que nos voisins puissent vibrer aussi patriotiquement que le public lausannois qui, après avoir applaudi les autres chanteurs, a hué l’excellent ténor incarnant de Crousaz: car c’est lui le traître! Davel n’a pas fini de nous passionner…

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