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Vivant Denon selon Philippe Sollers

Lars Klawonn
La Nation n° 2223 24 mars 2023

Le Cavalier du Louvre Vivant Denon (1747-1825) de Philippe Sollers est une biographie littéraire. Le conformisme n’est pas l’affaire de l’écrivain français, l’académisme encore moins. L’esprit alerte et teinté d’ironie, le style nerveux, les idées semblent se presser sous sa plume envolée. Surtout aller à l’essentiel, et vite. Au lieu de suivre le découpage classique d’une vie, Sollers privilégie des angles surprenants. Il fait saillir les motifs dans une vie comme dans une composition musicale. L’auteur de Femmes ne reste pas aux idées générales et aux avis préfabriqués. S’il consulte les documents, explore les archives, récolte les faits, c’est pour mieux exprimer sa vision personnelle de Denon.

«Notre homme, nous allons le voir, n’est pas un Idéologue. Voilà sans doute, pourquoi il s’est moins trompé que beaucoup.» Retracer de manière détaillée et objective la vie de Vivant Denon n’est pas le premier souci de Sollers. Au lieu de cela, passionné par son personnage historique autant que par l’époque, il s’applique à le restituer dans toute sa complexité et dans son rapport à l’époque dans laquelle il vivait.

Mais d’abord qui était Vivant Denon? Né sous l’Ancien Régime, propulsé dans la Révolution, le fils de De Non, vigneron de la Bourgogne, est diplomate sous Louis XV et Louis XVI à Naples, en Sicile et à Saint-Pétersbourg, écrivain et conteur, marchand de vin, collectionneur d’art, muséologue, dessinateur, graveur. Il participe à l’expédition d’Egypte aux côtés de Bonaparte d’où il rapporte des tableaux, des œuvres d’art et son livre Voyage dans la Basse et la Haute Egypte qui obtient un grand succès.

Il est aussi l’auteur de Point de lendemain, un bref roman libertin dont il existe deux versions, celle de 1777 et celle de 1812. Sollers le tient pour un chef-d’œuvre unique au point de lui consacrer un chapitre entier. Son titre annonce parfaitement bien de quoi il s’agit. C’est l’histoire d’une seule nuit. Une femme mariée séduit un jeune homme et l’emmène à son château. L’adultère y est banalisé, la sensualité à son comble et la morale absente. Le libertinage s’attaque aux mœurs, c’est son but, sa raison d’être. Denon précise qu’il s’agit d’un conte. C’est surtout un hymne aux plaisirs de la séduction, mais aussi à la discrétion, qui est une qualité de la noblesse, et à laquelle Sollers s’attache en particulier.

Selon lui, la discrétion est la plus grande qualité de Denon. Elle est le contraire de la délation. Tous les régimes totalitaires favorisent la délation. Denon ne dénonce personne. Il cultive son jardin. La discrétion lui garantit une certaine liberté, le bonheur de vivre, le plaisir. Pour vivre heureux, il faut vivre caché et avancer masqué. Voilà sa méthode, sa stratégie de survie.

Cette vision d’un homme heureux, passionné d’art, fuyant les mondanités, aimant la solitude, c’est sans doute cela qui attire Sollers chez Denon. Il vit avec ses tableaux et ses livres, donc avec le passé, donc avec les morts, comme tous les grands artistes. La politique ne l’intéressait pas. La philosophie non plus. «Les romanciers retardent, les poètes mentent, les philosophes délirent. Interpréter le monde, le transformer, oui, sans doute. Mais pourquoi ne pas le jouer?», écrit Sollers.

Jouer le monde. Voilà le mot clé, le leitmotiv de la vie de Denon. Les tourments de son temps l’arrachent au bonheur de sa vie discrète et l’obligent à agir, à faire face. C’est l’autre versant du personnage, l’homme d’action, l’entrepreneur, l’aventurier. Il aime prendre des risques, parier, jouer au plus fin. Et il joue sur plusieurs tableaux. Il connaît les coulisses, il est dans l’antichambre du pouvoir de la Monarchie, de Robespierre, de Napoléon et de Louis XVIII. Résident français à Venise, il est soupçonné d’être un agent de la Révolution et doit subir l’interrogatoire par l’Inquisition. Il s’en tire à merveille. Et lorsqu’il revient à Paris en pleine Terreur, c’est l’inverse. Soupçonné d’être un ennemi de la Révolution par les Jacobins, les nouveaux inquisiteurs, il risque de perdre tous ses biens. Là encore, il lui faut jouer serré. Nouvel interrogatoire. Rencontre personnelle de Robespierre. Là aussi, il obtient gain de cause. Les dévots et les fanatiques, qu’ils soient jacobins ou royalistes, il les renvoie dos à dos.

Il joue donc, et il gagne, mais quelle est sa meilleure carte? A ce propos, voici ce qu’écrit Sollers: «Sa vision est d’abord celle de l’art, l’art de vivre, aussi bien. Cette vision, sous ses apparences de dilettantisme, est une expérience intérieure profonde. Il est très européen, mais bizarrement patriote. Il a sa France à lui. Napoléon lui apparaîtra sûrement comme une nécessité ou une fatalité historique.»

Sa meilleure carte, c’est donc l’art. Il rencontre Robespierre et devient «graveur de la République». Bonaparte le nomme directeur général des musées. Il se met à organiser le musée Napoléon qui deviendra le musée Royal, puis le Louvre. Un musée à l’honneur de Napoléon, il fallait y penser. Le musée, ça plaît aux tyrans. L’art, ça les flatte. Les monuments à leur honneur, ça marche à tous les coups. L’art a toujours fait partie intégrante de tous les pouvoirs despotiques. Denon l’avait compris. Ça lui a assuré ses arrières.

Sa vie privée est une énigme. Il n’a pas écrit de mémoire et presque pas de correspondance privée. Toute sa personne est dans ce qu’il a accompli. Denon était un homme qui a juste passé. Il était à la fois dans son temps et hors du temps. C’est là la question que Sollers aborde en profondeur, celle de savoir comment un homme peut laisser une trace dans l’histoire de l’humanité quand il n’est ni despote, ni conquérant , ni empereur .

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