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L’ordre dans l’Etat

Sébastien Mercier
La Nation n° 2225 21 avril 2023

Cahier de la Renaissance vaudoise numéro 1

Marcel Regamey écrit en 1926 un premier cahier, il a alors 21 ans. Le 11 juin de cette même année, la Gazette de Lausanne avait dénié à tout antidémocrate le droit d’être suisse. La sentence libérale, se voulant polémique, enflera, beaucoup considérant que cette étroitesse d’esprit insultait les Suisses de l’Ancien Régime. Regamey y répondra à sa manière dans L’ordre dans l’Etat.

Dans sa première analyse, il considère que l’Ancien Régime est tombé non pas à cause d’une forte volonté populaire, mais parce qu’il avait cessé de croire en sa légitimité. Dès lors, les tentatives de réformes, fructueuses, nécessaires ou non, accroissent le sentiment d’insécurité et d’illégitimité ressenti par les élites. Cette angoisse ruisselle jusqu’au peuple, qui ne peut que mieux s’enhardir des faiblesses de son gouvernement.

L’évolution d’une constitution doit pourtant bien être poursuivie en allant dans le sens d’une volonté populaire, mais Marcel Regamey émet une limite: s’il ne possède pas un noyau intangible, un système politique ne peut mûrir par des évolutions, il se retrouve soumis aux révolutions.

Dans sa seconde analyse, il se penchera sur le principe et la nature de l’autorité politique.

L’Etat doit être le défenseur de la communauté en la protégeant en quelque sorte d’elle-même, de ses volontés à court terme instables, de ses opinions erronées sur le bien de la nation, qu’elles soient majoritaires ou non. Bien que cette présentation puisse apparaître bien répressive et autoritaire, elle est en fait une obligation pour qu’un Etat puisse faire preuve de progrès en évitant les intérêts purement égoïstes (sans monopole de la force légitime par l’Etat, difficile de ne pas sombrer dans la loi du plus fort).

Dès lors, intuitivement, une autorité détachée du peuple semble une bonne solution. Il faut donc se pencher sur la démocratie et s’intéresser aux conditions de son bon fonctionnement, et, le cas échéant, à ses limites. Partant, le système électif comporte un certain nombre de défauts: favoritisme, subventions excessives, augmentation de la bureaucratie, clientélisme.

Regamey considérerait comme un moindre mal la nomination à vie de nos personnels exécutifs, cantonaux comme communaux. Mais comment choisir? Outre l’élection, il n’y a guère que l’hérédité ou la cooptation.

Regamey détaille les avantages et inconvénients habituels que l’on reconnaît au système héréditaire. En bref, ce n’est pas parce que la monarchie est un mauvais système qu’il ne convient pas au Pays de Vaud, c’est parce que les conditions de son succès (légitimité donnée par le peuple, histoire monarchique continue, dynastie susceptible de représenter le Pays) ne sont pas réunies1.

Dans sa troisième analyse, il encense le système de cooptation, en rappelant à quel point ce système est fréquent dans nos contrées et dans l’histoire (et de nos jours). Qui, en effet, est le plus à même de choisir celui qui obtient l’exercice d’un pouvoir que celui qui en a déjà effectué la tâche? Quelque part, dans une démocratie, certains cadres de partis, au gré des alliances et du choix des noms sur une liste, ont déjà ce pouvoir. Regamey défend qu’il vaut mieux faire éclater au grand jour les tenants de la cooptation plutôt que les laisser dans l’ombre. Ceux-ci, en pleine lumière, seraient plus à même d’agir dans l’intérêt de la nation.

Sa dernière analyse consiste en l’exercice de la souveraineté. Comment protéger les libertés individuelles face à l’Etat? L’approche de Regamey remet en question les libertés constitutionnelles. En effet, le droit de réunion ou d’édition n’est pas un «bon» ou un «mauvais» droit, tout dépend de ce qu’on en fait. La vraie protection de la liberté individuelle est en fait le droit civil, qui permet au paysan de jouir de la propriété de son champ, au créancier de recouvrer ses prêts, à l’ouvrier d’obtenir salaire de son travail. Pour contrer l’appétit d’une autorité publique qui peut décider elle-même de s’accorder plus de moyens, c’est au peuple d’avoir le dernier mot quant à une augmentation ou une baisse d’impôts. En dernier lieu, Regamey s’intéresse à la séparation des pouvoirs et émet diverses réserves quant à la conception moderne issue de «l’Esprit des Lois», notamment sous l’angle de l’indépendance des juges, que la partisanerie empêche d’être véritablement efficace.

Les conclusions de ce premier cahier vont par la suite être quelque peu modifiées, ou alors ses propositions seront étayées de manière plus argumentative par le premier président de la Ligue vaudoise. Nous y reviendrons dans le deuxième article de cette nouvelle série rétrospective des Cahiers de la Renaissance vaudoise.

Notes:

1   Nous y reviendrons dans l’analyse d’un futur cahier, car plus tard, Regamey changera d’avis.

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