Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

EMS: Les conséquences d’une étatisation abusive

Jean-Hugues Busslinger
La Nation n° 2235 8 septembre 2023

Le grand quotidien lausannois (ou ce qu’il en reste) s’est récemment fait l’écho d’un manque criant de lits d’accueil en établissements médico-sociaux. Première conséquence de cet état de fait, un nombre non négligeable de lits de soins aigus sont occupés dans les hôpitaux par des patients dont l’état ne l’exige pas mais qui ne peuvent être dirigés ailleurs faute de solution d’hébergement. Un tel effet indésirable – car il constitue une mauvaise allocation des moyens à disposition – mettra hélas du temps à se résorber. En effet, faute de réaction anticipée de l’Etat, on sait dorénavant que le nombre de lits d’EMS ne suffira de loin pas à satisfaire les besoins.

Des besoins toujours plus importants

Vieillissement de la population et accroissement de l’espérance de vie obligent, les besoins explosent. Alors que le Canton dispose d’environ 6’500 lits d’EMS, on estime les besoins à quelque 8’300 en 2030 et 10’500 à l’horizon 2040. Sachant qu’il faut de 3 à 10 ans pour construire une nouvelle structure, on voit bien que l’effort sera considérable pour relever ce défi. Et la construction de nouvelles structures ira de pair avec l’impérieuse nécessité de former les personnels aptes à fournir les soins et l’accompagnement désiré: il serait dès lors plus que judicieux de renforcer en parallèle les mesures de formation des personnels de santé. La conseillère d’Etat en charge du Département de la santé considère que la situation est tendue, «qu’elle ne s’est pas aggravée», mais que les paramètres ont changé: alors qu’un horizon de planification à 5 ans pouvait être considéré comme suffisant, celui-ci a passé à «12 à 15 ans», et d’annoncer sur la période 2022-2027 un programme de création et de modernisation des lits en EMS qui devrait concerner 2’300 lits, pour un investissement de 92 millions de francs. On relèvera que sur ce chiffre, seul un millier de lits devraient être réellement nouveaux.

On le constate, malgré les affirmations de l’officialité, l’impasse semble être programmée. Elle résulte de plusieurs facteurs, et notamment de la volonté de miser avant tout sur le maintien à domicile, une politique suivie par le Canton depuis la fin du siècle dernier. On ne s’en plaindra pas, tant il est vrai que chacun souhaite pouvoir vivre le plus longtemps possible dans ses meubles. Mais elle est aussi conséquence d’un double phénomène: l’absence de réelle planification cantonale et le recours quasi exclusif à la main publique pour la construction de nouveaux lits.

On sait que les cantons sont responsables d’établir une planification des besoins en lits, qu’il s’agisse de lits hospitaliers, mais aussi de lits d’EMS (art. 39 al. 1 et 3 LAMal). Si la question de la planification hospitalière a bien fait l’objet d’une application (certes controversée) par l’Etat de Vaud, on peine à trouver une réelle planification pour l’hébergement du grand âge; le Département en charge fonctionne par programmes quinquennaux (!) qui recensent et autorisent les constructions et modernisations d’établissements. Au vu des besoins et des difficultés à venir, il serait adéquat que l’Etat assume réellement son obligation de planification, qui devrait s’effectuer sur les mêmes bases que la planification hospitalière.

Une vision trop étatique

Mais le cœur du problème réside à n’en pas douter dans la vision quasi exclusivement étatique (ou étatisée) de l’hébergement médico-social. Depuis le conseiller d’Etat Maillard, c’est une approche de «tout à l’Etat» qui domine… Nous payons donc actuellement vingt ans d’œillères politiques qui n’ont eu de cesse de développer les structures parapubliques, d’accroître le carcan normatif et de restreindre sinon supprimer la marge de manœuvre des institutions privées. On a ainsi vu, il y a dix ans environ, l’Etat reprendre les emprunts hypothécaires de fondations privées, sans même que ces dernières aient donné leur accord. On connaît aussi des projets concrets présentés par des groupes privés qui n’ont jamais été pris en considération, au motif qu’ils n’étaient pas présentés par des fondations. Une telle politique affiche désormais son inefficacité en termes de capacités tout en se révélant coûteuse pour les deniers publics. On en voudra pour preuve les montants évoqués pour le programme de construction et de modernisation 2022-2027.

D’autres pistes méritent donc d’être explorées, qui passent par la recherche de partenariats entre l’Etat et les privés. Il convient dorénavant, face aux criantes lacunes, d’ouvrir le jeu. Sur la base d’une réelle planification, conforme aux principes de la LAMal, toutes les institutions intéressées devraient être appelées à présenter leurs dossiers, le choix s’effectuant selon les critères d’efficacité et d’économie. Cela permettrait ainsi aux institutions privées de revenir dans le jeu. Cela passe ensuite par un recours aux capitaux de tiers pour financer la construction des structures d’hébergement, moyennant une rémunération adéquate du capital investi. A l’heure actuelle, le taux d’intérêt autorisé n’est en rien incitatif car il ne garantit qu’un rendement insuffisant. Ce faisant, le financement ne dépendra plus de l’impôt, mais permettra par exemple aux caisses de pension de s’inscrire comme partenaires financiers, déchargeant ainsi l’Etat et leur permettant d’investir, dans une perspective profitant à la société tout en leur garantissant un revenu convenable. Cela passe enfin par un changement de mentalité de la part de l’administration cantonale.

Les besoins sont avérés et criants, l’effort sera important pour que nos aînés bénéficient de structures d’accueil adéquates. Il serait déplorable que l’idéologie fasse obstacle aux bonnes volontés… à toutes les bonnes volontés, qu’elles émanent d’acteurs publics, parapublics ou privés.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: