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Droit de vote des étrangers 2/2: l'initiative

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2235 8 septembre 2023

Nous avons décrit dans le précédent numéro de La Nation l’organisation et le programme du mouvement Ag!ssons. Il est à l’origine d’une initiative populaire pour accorder le droit de vote aux étrangers sur le plan cantonal. Elle a récemment abouti. Le Conseil d’Etat puis le Grand Conseil prendront au moins deux ans à s’interroger sur l’opportunité d’un contre-projet. Idéologiquement, le clivage ville-campagne est malheureusement vivace. On doit s’attendre à un vote serré. La Ligue vaudoise entend mettre cette période à profit pour préparer la campagne et ficeler ses arguments.

Le contenu de l’initiative est assez simple: les étrangers résidant depuis dix années en Suisse, dont les trois dernières en Pays de Vaud, feront partie du corps électoral. Ils pourront à la fois voter, élire et être élus, jusqu’au Conseil des Etats. Le Canton connaîtrait un régime similaire à celui des cantons du Jura1 et de Neuchâtel.

La notion de citoyenneté est au cœur du débat. Pour le mouvement Ag!ssons: «Celles et ceux qui travaillent, produisent, consomment et vivent sur un territoire devraient pouvoir se mêler des affaires publiques et participer pleinement à la vie et aux décisions politiques.» Il ajoute: «Bien des personnes qui paient leurs impôts ici sans en avoir la nationalité ne demandent qu’à prendre part entièrement à notre société et à s’y adapter. Donnons-en leur le droit!»

L’approche des initiants est purement formelle et se contenterait d’une fiche de salaire, d’un extrait de carte de crédit, d’une attestation de domicile et d’une déclaration d’impôt pour accorder le droit de vote. Mais cela serait déjà aller plus loin que le texte de l’initiative, qui seul doit compter dans le débat. Exiger la résidence dans le Canton, ainsi que le fait le texte, ne va pas au-delà d’attendre du citoyen qu’il y «vive» et paie des impôts.

Cette approche formelle permet de s’épargner le jugement des qualités – au sens d’ «ensemble des modalités sous lesquelles quelque chose se présente» – du candidat citoyen. Puis d’échapper au cruel résultat de leur comparaison avec un statut de citoyen que l’on aurait substantiellement défini. Parce que le jugement est présupposé inégalitaire et discriminant, c’est-à-dire injuste et méchant, il doit disparaître du champ politique.

Une telle conception est obligatoirement désincarnée et abstraite. Que les initiants désignent le Canton de Vaud comme un simple «territoire» le confirme. Leur but est de faire du Canton un espace un peu plus égalitaire que les autres, dans l’attente que tous les territoires finissent par accorder une citoyenneté universelle à l’ensemble des «citoyens du monde» qui habitent la planète. Ce terme de territoire, pourtant administratif et sans saveur, est typique des rhétoriques romantiques et radicales: le territoire se défend, se tient, se (re) conquiert.

Les initiants refusent de se référer au Pays de Vaud, autant passé que présent ou futur. Ils rejettent du même coup son substrat social et économique traditionnel, si propice à l’assimilation. Rejetant les moyens, ils refusent la fin. Logiquement, ils ne rattachent pas la citoyenneté à une appartenance nationale. La naturalisation suisse – qui présuppose l’indigénat cantonal – n’est plus une condition nécessaire de la citoyenneté.

Evidemment, les désordres actuels les confortent dans leur approche. La mobilité professionnelle a explosé. Malgré l’introduction d’un service féminin volontaire, la société s’est démilitarisée. Le contribuable remplace le citoyen-soldat. La croissance démographique a distendu les relations. L’immigration et la mondialisation ont brouillé les repères culturels, y compris des nationaux.

Il faut refuser qu’un possible affaiblissement de l’identité vaudoise serve d’argument pour élargir le corps électoral. Au contraire, l’octroi du droit d’élection n’est pas sans risques tant la démocratie parlementaire vit des divisions qu’elle instille. Seul un pays uni est à même de la supporter. Les personnes auxquelles elle s’applique doivent s’ancrer dans l’assise culturelle et morale la plus soudée possible. Elles devront comprendre intuitivement les références mentales de leurs concitoyens, à défaut de les partager toutes. Cela présuppose une très haut degré d’intégration.

Le couplage de la citoyenneté avec la naturalisation n’est pas un simple hasard bureaucratique tendanciellement arbitraire. La citoyenneté ne se limite pas qu’au droit de vote. Elle présuppose une responsabilité à l’égard d’une terre portée par l’histoire, et le respect d’institutions conformes aux mœurs du lieu. En miroir, l’Etat développe, à l’étranger, un devoir de prêter assistance et secours à ses nationaux.

La citoyenneté impose des obligations qui dépassent celles de consommer, travailler, produire et payer des impôts. La première, consubstantielle à l’alliance fédérale qui est d’abord militaire, est de porter l’uniforme. On nous objectera qu’il n’en va pas ainsi de tous les Vaudois. Mais jamais tous ne l’ont porté, ainsi de Marcel Regamey. L’Ukraine ne connaît pas (encore?) de système d’obligation de servir. Ses frontières sont pourtant déjà fermées – vers l’extérieur – aux hommes de nationalité ukrainienne. La possibilité de mourir pour son pays réside aussi en puissance dans le privilège de participer au sort de la Cité.

Cette responsabilité se transmet d’abord en famille. En ce qui me concerne, le sens du Pays m’est venu de mes parents, ensuite du pays réel, et finalement de l’école. Pour les étrangers, l’acquisition de la citoyenneté ne pourra découler que d’un long processus, indissociable de la naturalisation et consacrant l’assimilation.

Mais ne pas être citoyen n’interdit pas de s’engager pour le Canton. Actif au sein d’une association, d’un club ou d’une entreprise, l’étranger expérimentera, concrètement et avec plus d’intensité qu’en élisant le Grand Conseil, la liberté politique à laquelle il pourra prétendre en demandant la naturalisation.

Notes:

1   Sous réserve que dans le Canton du Jura, les étrangers ne peuvent pas voter sur les modifications de la Constitution cantonale (art. 3, Loi jurassienne sur les droits politiques).

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