Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Soutenir le CICR

Jean-François Cavin
La Nation n° 2243 29 décembre 2023

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) se heurte à plusieurs difficultés. Son action n’est pas toujours bien comprise. En Ukraine, le président Zelensky lui reproche d’être trop timoré. A Gaza, d’aucuns déplorent qu’il ne condamne pas clairement certaines actions guerrières. Et quelques Etats donateurs se font pingres: malgré l’augmentation des besoins, que les récents conflits rendent inévitable, le financement ne suit pas et l’organisation basée à Genève a dû réduire son budget de 400 millions, en congédiant quelque 1’500 collaborateurs, peut-être davantage, sur plus de 20’000 qu’elle emploie dans le monde.

Cette situation est préoccupante pour les gens de bonne volonté, car le CICR remplit une mission indispensable – que, sous plusieurs aspects, aucune autre organisation ne peut exercer – en veillant au respect du droit humanitaire dans les conflits armés et en apportant une aide concrète aux victimes de ces hostilités. Les guerres sont, dans un brutal rapport de force, l’expression d’une violence destructrice; tant que le monde sera monde, on n’échappera pas à leur fureur. La violence armée ne peut être éradiquée, mais on peut espérer la canaliser. C’est l’honneur de l’humanité d’avoir depuis longtemps tenté d’en limiter les horreurs par le «droit de la guerre», qui pose des règles minimales et qui protège en particulier les blessés, les prisonniers et les populations civiles; c’est un droit fragile, car aucune autorité supranationale n’est régulièrement en mesure d’en imposer le respect; c’est néanmoins un droit qui fixe de précieux repères et qui n’est pas sans efficacité à cause de sa valeur morale et du discrédit qui menace le belligérant qui l’ignorerait.

En Ukraine, le CICR a déployé une action d’envergure à l’intérieur du territoire pour venir en aide aux populations déplacées (parfois un million de personnes coupées de leurs ressources et de leur habitat) et s’efforce d’accomplir l’une de ses missions de base: la visite aux prisonniers pour établir le lien avec leurs familles et pour s’assurer qu’ils sont convenablement traités. Sur ce dernier chapitre, il semble bien que la Russie soit réticente à autoriser l’accès des délégués aux prisonniers qu’elle détient; certaines visites ont pu être faites, d’autres apparemment pas. C’est là que le président ukrainien reproche au CICR de ne pas tempêter contre cette violation de la Convention de Genève y relative, que la Russie a signée; on n’est pas étonné que ce comédien, avec son sens aigu du spectacle et de la communication, souhaite des éclats; mais le CICR, lui, pratique la discrétion avec l’espoir de maintenir une relation de confiance qui permettra d’obtenir des résultats concrets.

A Gaza, cette même discrétion lui vaut aussi des critiques. C’est injuste dans la mesure où il a clairement condamné le massacre du 7 octobre et la prise d’otages par le Hamas (qui est contraire à une disposition expresse des Conventions de Genève) et où il a rappelé avec force, en décrivant les horreurs subies par la population civile, les règles destinées à l’épargner. Mais il ne met personne au pilori, car là aussi, il est permis d’espérer que le maintien des relations avec les parties au conflit permette d’obtenir des résultats; le CICR a d’ailleurs été partie prenante à la libération de certains otages. La situation juridique est d’autant plus compliquée dans cette bande de terre qu’un des belligérants, le Hamas, n’est pas un Etat et n’a donc pas signé de convention humanitaire; mais le Protocole additionnel II aux Conventions de Genève en étend partiellement l’effet aux conflits armés non internationaux et les Etats signataires qui soutiennent le Hamas devraient exercer leur influence modératrice. En pratique, la difficulté est que le Hamas s’entend à utiliser les civils comme boucliers et qu’il est donc très délicat pour Israël de s’attaquer à ses installations militaires, y compris souterraines, sans écraser la population.

Si l’on considère ces deux cas, il est assez alarmant de constater que le droit humanitaire y est partiellement ignoré ou bafoué. Si l’on est porté à penser qu’il y a une dégradation générale du respect de ce droit, donc une recrudescence de la barbarie, ne faut-il pas réagir? Le CICR ne veut pas tancer les contrevenants, on le comprend. Mais n’y a-t-il pas d’autres voies pour réaffirmer son importance? Dans une chronique de 24 heures, Mme Laetitia Kirlanoff, de la Mission suisse auprès des Nations Unies à Genève, expose notamment ceci: En tant que dépositaire des Conventions de Genève, la Suisse conserve une réputation solide et justifiée de gardienne du droit international humanitaire (DIH). Elle rappelle régulièrement aux parties en conflit leurs obligations au nom des principes fondamentaux du DIH, à savoir la proportionnalité, la distinction, la précaution et l’humanité, ainsi que la garantie d’un accès rapide et sans entraves aux personnes touchées. Voilà des démarches bienvenues. Mais ne sont-elles pas trop discrètes? Sont-elles suffisantes? N’étant pas engagée dans les négociations du terrain, la Suisse n’est pas tenue à la confidentialité et pourrait s’exprimer ouvertement sur certaines violations du droit de la guerre. Et vu la situation qui semble empirer, on peut se demander si notre pays ne devrait pas lancer très publiquement une opération diplomatique de grand style pour la réhabilitation du droit humanitaire.

Du côté des finances, la Confédération helvétique est généreuse. En 2022, elle a versé 160 millions au CICR, troisième donatrice en chiffres absolus derrière les USA (609 millions) et l’Allemagne fédérale (206 millions) et bien plus large que ces deux Etats en francs par habitant. Elle a en outre consenti un prêt sans intérêt de 200 millions lié aux dépenses de la pandémie de COVID. En 2023, le Conseil fédéral entend prolonger la durée de ce prêt et rajouter une contribution extraordinaire de 50 millions. Cet effort financier est justifié, car le CICR, bien qu’organisation internationale, est fortement ancré en Suisse par son histoire depuis sa fondation par Dunant, par la composition exclusivement suisse de son Assemblée et par ses liens étroits avec le Département fédéral des affaires étrangères; la Croix Rouge internationale ne relève pas de la Suisse, mais la Suisse est sa marraine.

L’opération diplomatique d’envergure que nous suggérons comme digne d’être une priorité de notre politique étrangère (bien plus que les stériles palabres de l’ONU) pourrait englober le renforcement du financement. Si l’Union européenne verse 150 millions, si les Etats scandinaves, la Grande Bretagne et le Canada apportent une aide substantielle, on est frappé de la modestie des dons d’Etats pourtant immensément riches ou puissants. Les Emirats Arabes Unis versent 11 millions, l’Arabie saoudite… 188’000 francs, la Chine 720’000 francs! Quel est donc le prix que ces pays, signataires des Conventions de Genève, attachent au droit et à l’action humanitaire dans les situations de guerre?

L’effort de stabilisation du CICR passe aussi par un réajustement de sa stratégie. Sous l’impulsion de M. Peter Maurer, son président pendant une dizaine d’années, il a étendu son champ d’intervention à la protection assez générale des personnes «vulnérables», pas seulement du fait de la guerre, mais aussi en cas de famine, de tremblement de terre, d’inondation, etc. Là, les besoins sont infinis et il y a un risque de s’y perdre, tout en entrant en concurrence avec d’autres organisations humanitaires. Les organes dirigeants ont indiqué que l’action serait recentrée sur la mission de base; c’est une bonne décision. Mais les économies qu’on peut en attendre ne compenseront pas les énormes dépenses consenties lors des crises majeures: en Ukraine, en 2022, c’est près de 400 millions qu’il a fallu engager d’un coup.

L’efficacité du CICR dépend de sa stricte impartialité dans les conflits. Cette règle d’or correspond à l’un des principes essentiels de la politique étrangère helvétique. En soutenant cette organisation, en faisant davantage qu’aujourd’hui valoir la valeur cardinale de sa neutralité, la Suisse la renforce tout en consolidant sa propre position.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: