Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

René Girard aurait eu cent ans

Benjamin Ansermet
La Nation n° 2244 12 janvier 2024

Le 25 décembre 2023, René Girard aurait eu cent ans. Il est mort en 2015. Anthropologue et philosophe français, il fit cependant toute sa carrière aux Etats-Unis. Ses travaux commencèrent par s’appuyer sur des œuvres littéraires pour ensuite s’élargir grâce à l’étude de récits mythologiques, de textes religieux et de coutumes de nombreux peuples.

A la base de l’œuvre de René Girard se trouve l’importance du mimétisme chez l’homme. Son premier ouvrage, Mensonge romantique et vérité romanesque, paru en 1961, traite du désir mimétique. Nous éprouvons du désir en imitant celui d’autrui. Nous désirons un objet possédé par quelqu’un que nous prenons comme modèle. Le désir se déploie ainsi dans un triangle entre un objet, un sujet et un modèle. Parfois, le modèle peut devenir un obstacle, empêchant d’obtenir l’objet désiré. Cette situation peut déboucher sur la violence.

La violence est un autre élément central de la pensée girardienne. Dans son optique, les situations violentes sont liées à une disparition des différences, dans laquelle les rivaux, dans leur affrontement, ont tendance à devenir similaires, comme des doubles pour prendre un terme de Girard.

L’indifférenciation n’existe pas que dans la violence entre deux individus, mais elle est aussi présente dans la violence subie par des communautés humaines. Parfois, ces dernières connaissent des crises mimétiques.

Lors d’une telle crise, survient un moment où le plus petit indice sur un individu ou un groupe pouvant laisser croire que celui-ci est la cause de la crise devient une preuve de sa culpabilité. Alors la violence de tous contre tous devient la violence de tous contre un. Ce dernier est sacrifié: c’est le mécanisme (fondamental) du bouc émissaire, qui ramène la paix dans la communauté – pour un temps au moins.

A l’issue de ce mécanisme, les différences culturelles et sociales sont établies pour éviter l’indifférenciation associée aux origines de la crise et à la violence.

Le mythe naît de la manière dont la communauté va se raconter cet événement. Le sacré naît face à ce mystère et ce miracle du sacrifice qui a permis de rétablir la paix. Mais ce sacré sera ambivalent, car le bouc émissaire est aussi celui qui aurait amené la peste. D’où le fait que dans les anciennes mythologies, les dieux pouvaient apporter de grands bienfaits mais devaient aussi être craints (le christianisme fait ici exception, mais nous y reviendrons).

Les sacrifices mis en place ont quant à eux pour but de recréer les effets du mécanisme du bouc émissaire sans devoir passer par une crise. On recherche une victime sacrifiable, ni trop proche ni trop éloignée de la communauté, pour profiter des bienfaits de son sacrifice sans causer de crise au sein du groupe.

Les interdits sont aussi développés pour éviter les situations pouvant évoquer la crise, l’indifférenciation ou la violence.

Les développements de ces éléments relèvent en quelque sorte de connaissances empiriques ainsi que d’un mélange de compréhension et d’ignorance des mécanismes à l’œuvre.

Par rapport à ces mécanismes, Girard accorde une place particulière au christianisme. Le Christ étant, pour lui, le bouc émissaire qui accepte volontairement son sort pour révéler au monde l’innocence de la victime et l’injustice du mécanisme sacrificiel.

L’analyse girardienne, esquissée ici sur quelques points centraux, jette un regard original sur l’histoire des communautés humaines et peut être utilisée pour analyser le présent.

Références:

Quelques ouvrages: La Violence et le sacré, Des choses cachées depuis la fondation du monde, Le Bouc émissaire.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: