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N’empêchez pas la lumière

Romain Debluë
La Nation n° 2244 12 janvier 2024

Hommage à Michel Moret

Rares au fond, dans une vie, les occasions d’éprouver une véritable gratitude. Parce que rares au fond les rencontres avec de véritables générosités. Celle de Michel Moret était désarmante de simplicité, de bonhomie et de placidité – au sens où Littré entendait ce dernier mot, celui d’une «tranquillité douce et sereine». Volontiers et respectueusement, je le comparerais à l’éléphant de saint François de Sales, dont le grand Docteur écrivait: «L’éléphant n’est qu’une grosse bête, mais la plus digne qui vive sur la terre et qui a le plus de sens.» Il y avait de la grosse bête en Michel Moret; et les plus empressés pouvaient à cela s’arrêter, ne voyant en lui qu’un amateur mal dégrossi, sans guère de goût, sans même peut-être beaucoup d’intelligence. Tant pis pour ceux que ces bêtises prenaient au piège de leurs reflets sans réflexion. Aux autres, à ceux-là qui vraiment s’approchaient de lui, et l’écoutaient, et l’observaient, lentement, ainsi qu’un éléphant qui va son chemin, il laissait voir une âme toute d’amour et de dévouement, de courage et de persévérance. Rien ne lui était moins étranger que la grossièreté, sinon la vulgarité. Rustique sans doute, mais jamais rustre. Libri sunt corda hominum, écrivait Hugues de Saint-Victor, «les livres sont les cœurs des hommes». Michel Moret en effet semblait ne jamais faire grande différence entre les livres (du moins les bons) et le cœur des hommes dont ils recueillent les joies et les peines, les rires et les sanglots, les pensées et les sentiments. Quant à lui, son cœur était aux livres – comme l’on dit à quelqu’un que l’on aime: «je suis à toi». Il était à eux et il était pour eux; il leur appartenait, non d’une appartenance d’esclave, mais d’amour, qui est toujours libre et toujours libératoire. Il s’était donné à eux, tout entier, et alors il les servait, en même façon que l’on devient sans honte le servant et le desservant de ceux que l’on aime. Certes, comme tout éditeur qui entend perdurer, il publiait trop, si l’on entend par là plus de livres que seulement ceux pour lesquels il avait une profonde affection, et une haute admiration. C’était le prix à payer pour demeurer indépendant, et ceux-là seuls qui n’entendent rien aux contraignantes et strictes réalités d’une maison d’édition le lui pourraient reprocher. Son dernier livre, publié l’année même de sa mort, avait pour titre: Besoin de lumière. Michel Moret en effet croyait fermement que, selon les mots de Victor Hugo, «l’homme, malgré sa haine et malgré sa démence, / est le commencement de la lumière immense». Et certainement il aurait pu adopter pour devise d’éditeur: non in vobis lucem impedias, «n’empêchez pas en vous la lumière». Ainsi, plus encore sans doute que le profond besoin de Michel Moret, ce titre signifiait cela même qu’il espérait éveiller dans l’âme, trop souvent terne ou éteinte, de ses contemporains. Car tel était le point commun de tous les livres aimés de lui, parfois si différents d’apparence, qu’ils étaient tous destinés à détruire dans nos cœurs le désir de ténèbres, et par là même à rendre aux hommes le goût de «la joie conduisant à la lumière» (Tzara). A présent, il connaît la joie qui est la lumière, et la lumière qui est la vie. Nous qui restons après lui dans ce monde de clair-obscur, nous le saluons devant l’Eternel, avec reconnaissance et humilité.

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