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Du complexe au chaotique

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1796 27 octobre 2006
Le 1er janvier 2002, l’Office intercantonal de contrôle des médicaments (OICM) passe sous contrôle fédéral et devient Swissmedic. Dans sa conférence de presse du 11 janvier, Mme la conseillère fédérale Ruth Dreifuss déclare:

Pendant un siècle, les prescriptions régissant les médicaments se fondaient essentiellement sur des bases juridiques intercantonales et cantonales. Cette situation empêchait d’avoir une vue d’ensemble claire et rapide de la législation en vigueur, posait des problèmes de délimitation des compétences et entravait une mise en application coordonnée.

Désormais, la loi sur les produits thérapeutiques garantit l’approvisionnement de la population en médicaments de qualité, sûrs et efficaces, de façon plus uniforme et coordonnée sur l’ensemble du territoire national.

Avec Swissmedic, la Suisse dispose désormais dans le domaine des médicaments, comme la plupart des autres pays européens, d’une seule autorité centrale, dotée de larges compétences.

En octobre 2002, le Contrôle fédéral des finances dénonce les dysfonctionnements de la nouvelle entité, son émiettement en dix sites différents, son informatique hétéroclite, le manque de savoir-faire, la direction déficiente, l’imprécision des objectifs, les surcoûts et la dépendance de consultants extérieurs.

A la fin de l’année 2002, le service juridique de Swissmedic enregistre la démission de la moitié de ses collaborateurs, démissions liées au départ de l’ancien chef de service et directeur suppléant de l’OICM. Le nouveau chef du service juridique, qui entrera en fonction le 1er avril 2003, trouvera, selon ses dires, une équipe «en triste état»: anciens collaborateurs désécurisés et nouveaux non intégrés.

En janvier 2003, une année après la création de Swissmedic, on apprend par la presse que «les procédures d’admission de nouveaux médicaments ne sont plus aussi rapides qu’autrefois» (1). Le directeur, M. Hans Stocker, demande une augmentation de 20% du personnel puis démissionne quelques jours plus tard. M. Klaus- Jörg Dogwilwer le remplace au pied levé dès le 12 février. Il partira en avril 2005, et sera remplacé par M. Franz Schneller.

Le Rapport de la Commission de gestion du Conseil des Etats du 25 août 2004 affirme dans son «appréciation générale»:

Pendant ses premiers 18 mois de fonctionnement, l’institut a essentiellement été occupé à régler ses problèmes internes.

Le monde officiel, qui n’aime pas les vagues, minimise les problèmes de Swissmedic. Le 4 juin 2003, M. Michel Béguelin déclare au nom de la Commission du Conseil des Etats:

Vous savez que la mise en place de ce nouveau système de contrôle de suivi des médicaments – qui a été confié à la Confédération depuis le 1er janvier 2002 – a vécu une introduction particulièrement mouvementée. La situation est fort heureusement en voie de redressement et je pense qu’à court terme, d’ici la fin de l’année, la situation se sera régularisée.

Le Rapport du 25 août 2004 montrera l’inanité de ces prédictions.

Le 13 octobre 2005, la presse publie ce communiqué:

Pour remplir à l'avenir encore mieux la mission de contrôle qui est la sienne, Swissmedic, Institut suisse des produits thérapeutiques, renforce la surveillance du marché ainsi que la formation continue de ses collaborateurs et intensifie la coopération internationale.

Swissmedic répond ainsi aux nouveaux défis posés par la mondialisation du marché des produits thérapeutiques, à savoir par exemple la rapidité des évolutions technologiques, les nouvelles exigences légales ainsi que les risques de type nouveau tels que les contrefaçons et le commerce par Internet.

[…] Swissmedic entend renforcer la surveillance du marché, notamment en proposant aux professionnels de la santé des séances d'information et des formations pour les encourager à remplir leur devoir légal d'annonce d'incidents survenus avec des produits thérapeutiques. L'institut prévoit d'améliorer encore la qualité des annonces et d'augmenter chaque année d'environ 15% le nombre des annonces faites par des professionnels de la santé. En outre, de nouveaux risques apparaissent, à l'instar des contrefaçons ou du commerce illégal, qui se développe essentiellement sur Internet. Et Swissmedic se donne pour ambition d'être un acteur majeur au niveau mondial dans ce domaine.

Peu convaincu par ce morceau d’anthologie de la vantardise en langue de bois, le conseiller national Adrian Amstutz dépose le 13 mars 2006 une interpellation cosignée par 117 parlementaires et développée dans les termes suivants (2):

Il est essentiel, pour assurer la sécurité des médicaments, la protection des patients et la compétitivité du pôle suisse de recherche et de production pharmaceutiques que l'autorité chargée d'autoriser les médicaments obéisse à une structure claire et soit conséquente, efficiente et efficace dans son action. Cette nécessité est admise par tous. Or, Swissmedic ne s'acquitte pas pleinement de la mission centrale qui lui incombe en sa qualité d'autorité de régulation.

De larges milieux de l'industrie pharmaceutique et du commerce en gros et de détail s'élèvent contre son formalisme disproportionné, contre l'opacité des procédures d'autorisation, contre l'application arbitraire des directives nationales et internationales, contre le manque d'harmonisation des procédures d'autorisation avec les procédures d'homologation internationales et contre les exigences excessives dont font l'objet les produits sans problème en usage de longue date.

Tous se plaignent de ce que les dossiers en attente ne sont pas tenus d'être traités dans un délai ferme, aisément calculable, et soulignent que cette carence engendre un gaspillage de ressources considérable. La position des grandes entreprises internationales implantées en Suisse s'en trouve affaiblie et leurs coûts s'alourdissent; les petites et moyennes entreprises risquent, quant à elles, d'être menacées dans leur survie, surtout dans un contexte d'augmentation constante et massive des émoluments.

Swissmedic ne se concentre pas assez sur sa mission principale. Malgré les retards importants pris dans le traitement des dossiers, il tente avec frénésie, dans le cadre de sa fonction de surveillance, d'étendre ses activités à des secteurs où la loi ne lui donne aucune légitimité pour agir. […]

A cette attaque frontale et documentée, le Conseil fédéral donne le 9 juin 2006 une réponse dilatoire. Les signataires se déclarent insatisfaits.

Fin mai, le Conseil de Swissmedic, présidé par Mme Christine Beerli, ancienne conseillère aux Etats radicale et candidate malheureuse au Conseil fédéral, décide d’analyser le fonctionnement de l’Institut (une façon pas trop élégante de se tirer des pattes) et «découvre» les manques de l’équipe dirigeante, son «incapacité à imposer les décisions», ses «priorités non définies», le «nombre trop grand de subordonnés directs du directeur».

Et le 19 octobre dernier, tandis que Mme Beerli continue de pontifier au sommet, le directeur Schneller et quatre membres de la direction «quittent» Swissmedic. Cela nous fait trois directeurs démissionnaires ou démissionnés en moins de cinq ans!

Que nous coûte ce jeu de chaises médicales? «Nous n’avons pas offert de parachutes dorés, déclare Mme Beerli, la négociation s’est faite sur une base inférieure à un million de francs.» Peutêtre pas un parachute, mais quand même un petit parapluie? Elle ajoute misérablement qu’«il ne s’agit pas de faire tomber des têtes, mais de mettre les bonnes personnes aux bons endroits». Les remplaçants des quatre membres de la direction ont été trouvés «à l’interne». On réexaminera leur état dans une année.

Dans son allocution de 2002, Mme Dreifuss avait déclaré au sujet de l’OICM:

Je tiens à relever qu’en comparaison internationale les autorités chargées jusqu’ici du contrôle des médicaments étaient déjà jugées très compétentes et que la procédure d’admission de nouveaux médicaments était nettement plus rapide que dans les pays européens offrant les mêmes garanties.

Autrement dit, elle a sacrifié un système excellent au calamiteux Swissmedic! Difficile d’émettre une autocritique plus féroce, autocritique que renforce encore cette dernière citation du Rapport du 25 août 2004:

Le changement de système a impliqué des transformations difficiles pour les deux parties. La réticence envers le nouveau système était toutefois particulièrement importante de la part des cantons. Comme l’a dit un interlocuteur de la Commission de gestion du Conseil des Etats, ces derniers se voyaient forcés de céder à la Confédération à contrecoeur – et non sans amertume – «l’un des joyaux de la collaboration intercantonale».

De cette centralisation, on attendait plus de rapidité, plus de transparence et une baisse des coûts. Depuis cinq ans, on souffre de décisions plus lentes, plus opaques et plus coûteuses. Depuis cinq ans, on patauge. Depuis cinq ans, les politiciens de tous bords ne cessent d’annoncer une reprise en main, n’hésitant pas à faire sauter l’un ou l’autre fusible humain (le dernier en date étant le directeur Schneller) quand ça commence à chauffer pour leur matricule. Croit-on qu’il en ira différemment avec la centralisation de l’école, mille fois plus complexe que celle du contrôle des médicaments? Ou celle, annoncée, de la santé, qui porte sur des montants incomparablement plus élevés? Ou celle de la police, revendiquée par la presse chaque fois qu’un malfrat international n’est pas arrêté sur l’heure?

Nous n’avons pas l’habitude d’écrire nos articles avec des ciseaux. Pardon à nos lecteurs pour l’exception présente! Mais l’affaire Swissmedic n’est pleinement démonstrative qu’avec des citations.

Swissmedic montre que la centralisation n’est rien d’autre que le remplacement d’institutions complexes mais conformes à la réalité par des systèmes qui tirent leur perfection et leur simplicité d’une négation de l’humain en tant que matière première de la politique. Un système simple appliqué à un monde complexe débouche fatalement sur le chaos.

Swissmedic jette aussi une lumière brutale sur les techniques d’évitement ou de négation des problèmes développées par le monde officiel: d’un côté on rassure le bon peuple par la description sans cesse recommencée d’un avenir idyllique et de l’autre on livre périodiquement un ou plusieurs boucs émissaires à la colère de ceux qui souffrent de la situation.

Swissmedic illustre enfin l’«effet de cliquet» qui accompagne tout processus de centralisation et rend nos autorités incapables ne serait-ce que d’envisager le retour d’une compétence à ceux qui s’en occupaient à satisfaction.

Le ratage en continu de Swissmedic est un exemple perpétuel et éblouissant des impasses où nous conduit la centralisation.


NOTES:

1) Le Temps, 18 janvier 2003.

2) On peut trouver le texte complet sur internet:
http://search.parlament.ch/f/cv-geschaefte?gesch_id=20063041

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