Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

L’Etat jurassien doit-il disparaître?

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1925 7 octobre 2011
Le Parlement neuchâtelois prie son gouvernement d’étudier la possibilité de fusionner avec le canton du Jura ainsi qu’avec la partie jurassienne du canton de Berne. Un certain nombre de Jurassiens soutiennent l’idée. La Radio romande nous a offert l’occasion de débattre brièvement avec l’un d’eux, le conseiller national Jean-Claude Rennwald.

Ne s’agit-il pas d’une décision souveraine? N’étant ni jurassien ni neuchâtelois ni bernois, sommes-nous seulement fondé à donner notre avis? Nous le croyons, dans la mesure où cette union aura nécessairement des répercussions sur l’ensemble de la Confédération.

Nous craignons la mise en route d’une dynamique nuisible aux institutions cantonales et fédérales. Pour toutes sortes de motifs infra-politiques, effets de muscles électoraux, défense d’intérêts locaux, projets transfrontaliers d’aménagistes, d’urbanistes ou d’économistes «visionnaires», on verra des communes demander leur rattachement à un autre canton, des régions transfrontalières revendiquer leur autonomie, tel canton fort exercer des pressions sur tel canton faible, voire l’un ou l’autre canton excentrique exiger son annexion à l’un de nos grands voisins.

La Ligue vaudoise a toujours soutenu les revendications jurassiennes, mais, arguant du caractère historiquement unique de la question jurassienne, elle a aussi toujours contesté qu’on puisse en tirer une règle générale. A l’époque, le message avait passé.

Il reste que nous sommes un «Etat fondé sur le droit». Si la demande de fusion devait prendre corps, on peut tenir pour certain que les autorités fédérales voudraient introduire dans la Constitution une procédure générale de modifications des frontières. On porterait ainsi une grave atteinte au principe non-écrit de leur intangibilité. C’est pourtant ce principe qui garantit la souveraineté des petites entités cantonales et assure la stabilité de l’ensemble confédéral. On ne devrait envisager d’y toucher que pour des motifs majeurs et durables relevant de la survie d’un canton.

Nous n’en sommes pas là. On nous parle d’avantages fiscaux et d’économies d’échelle. Les Vaudois sont placés pour savoir que le fisc des grands cantons n’est pas moins vorace que celui des petits, ni leurs autorités moins dépensières. On évoque aussi la lutte contre la concurrence fiscale. Outre que ses effets sont marginaux par rapport à l’ensemble des impôts, la concurrence fiscale n’est pas mauvaise en soi. Elle est même bienfaisante en ce qu’elle contraint les fiscs cantonaux à une certaine modération. Le renforcement des petits cantons par rapport au grands ou à la Confédération? Une fusion de deux cantons ne rendra le nouveau canton plus fort que si une unité populaire réelle fonde l’unité institutionnelle. Un canton est fort de son histoire commune, de sa volonté de vivre et de l’énergie de ses autorités à faire valoir ses droits, non du nombre d’individus massés sur son territoire. M. Rennwald prétend que l’identité jurassienne s’est étendue à tout l’Arc jurassien. «Identité» est un terme qui permet toutes les approximations. Si on le remplace par celui, plus ciblé et adéquat, de «peuple historique», applicable aussi bien aux neuchâtelois qu’aux Jurassiens, l’illusion de M. Rennwald saute aux yeux.

Enfin, nous ne voyons pas en quoi fusionner Neuchâtel et le Jura permettrait, comme l’affirme M. Rennwald, de supprimer les antagonismes entre les Neuchâtelois du Haut et ceux du Bas. Quant à «résoudre la question jurassienne par le haut», comme il le dit, il faudra d’abord voir ce que le canton de Berne en pense.

Il n’y a pas de commune mesure entre ces buts, même si certains sont légitimes, et les conséquences politiques d’une fusion cantonale, tant pour les cantons concernés que pour la Confédération. C’est même à ce point disproportionné que toute l’affaire n’est probablement qu’une tempête dans un verre d’eau.

Les autorités neuchâteloises vont devoir se déterminer en tenant compte des intérêts durables de leur population, mais aussi des problèmes qu’une fusion risque de causer à terme à tout l’équilibre suisse. Les Bernois, on les connaît, n’entreront pas en matière.

Quant aux Jurassiens, ils pourraient être tentés. Les difficultés de l’exercice de la souveraineté au quotidien et les résultats si souvent décevants et peu clairs de la politique concrète sont bien éloignés des grands frissons de l’aventure jurassienne d’avant 1978. C’est toute l’ambiguïté de la souveraineté: rien n’est fait tant qu’on ne l’a pas, et quand on l’a, tout reste à faire. La fusion offre l’occasion de renouer avec l’époque héroïque, tout en se trouvant cette fois-ci dans le sens du poil de l’histoire.

Mais il y a peu de chances pour que la capitale du nouveau canton soit Delémont. Les Jurassiens devront se demander s’il valait la peine de consentir tant de sacrifices, de vaincre tant d’obstacles, de créer contre vents et marées un Etat cantonal pour se contenter de jouer le rôle d’arrière-pays d’un canton sans unité.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: