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Réforme de la LAMal

Georges Perrin
La Nation n° 1925 7 octobre 2011
La Fédération des médecins suisses (FMH) s’est engagée dans le grand chantier de la réforme de l’assurance-maladie; elle veut y jouer un rôle de conseiller, en faisant valoir l’expérience et la réflexion de ses membres, et un rôle d’agent politique par quelques membres de son comité engagés dans les partis ou dans les conseils politiques. Car l’assurance est entre les mains des Chambres et du Conseil fédéral. Ce chantier dure depuis plusieurs années; il porte actuellement sur deux projets: le managed care, réforme structurelle de la pratique des soins, et le mode de financement des hôpitaux par les «DRG». L’un et l’autre de ces deux projets rencontrent des oppositions tenaces, souvent violentes, et loin d’être encore résolues.

Le managed care

C’est l’organisation des médecins (et de tous les autres «fournisseurs de prestations») en réseaux, une forme d’association dont il existe déjà d’assez nombreux exemples, surtout en Suisse allemande et à Genève. La composition d’un réseau, le ou les buts qu’il se fixe, les relations entre ses membres, tous ces éléments sont variables. Dès 2006, la FMH avait proposé un projet type qui a été repris, dit-elle, par le Conseil national. Il se caractérisait par une grande liberté: liberté de la forme traditionnelle du médecin indépendant; liberté pour les médecins de s’organiser comme ils le souhaitent, large palette de structures de réseaux; maintien de l’obligation de contracter (pour les caisses) dans le système traditionnel; fin de la «clause du besoin»; pas de modèle de «listes sans contrat»; amélioration essentielle de la compensation des risques (fin de la «chasse aux bons risques»); et en plus, indemnisation de la formation continue et du travail administratif et de coordination.

Il y a beaucoup de témoignages, dans la littérature professionnelle, en faveur de la réussite des réseaux existants; il faut remarquer que ces derniers sont nés d’expériences personnelles, d’affinités, de similitudes de pratique (horaire, locaux) et de conceptions de travail; leur caractère premier est qu’ils sont spontanés, ils ne sont pas planifiés ni imposés par une autorité, et ils sont proposés aux assurés sans que ceux-ci aient à faire une démarche pour entrer dans un système. C’est sans doute une des raisons de leur succès. (Et puis, les échecs ne s’affichent pas.) On verra plus bas que nos autorités fédérales sont loin d’apprécier cette autonomie professionnelle qui échappe à leur dirigisme.

Deuxième remarque: on connaît aussi, dans toutes nos villes et campagnes, des associations de médecins qui ne sont pas des réseaux au sens de la FMH, mais des collaborations amicales, mais non dépourvues de conditions bien étudiées, même notariées, de fonctionnement. Elles présentent des avantages financiers pour les associés, mais jouent aussi un rôle de conseil mutuel, ou même de perfectionnement professionnel. Le même rôle est rempli par des «cercles de qualité», rencontres périodiques de médecins de diverses spécialités, de pharmaciens ou autres «fournisseurs de prestations», dans le but de mettre en commun des problèmes de la pratique quotidienne, ou de se tenir au courant des nouveautés. Ces réunions, ce travail en commun, sont en définitive profitables aux malades et à l’expérience médicale en général. Elles sont bénévoles et ne coûtent pas un sou à l’assurance. Pense-t-on que, le jour où elles seront imposées par les nouvelles directives de la LAMal, elles resteront gratuites? D’ailleurs, l’indemnisation de la formation continue et du travail administratif et de coordination est inscrite dans les buts des réseaux, comme on l’a vu. Suggérée par la FMH, cette mesure a pris forme dans un article 41c nouveau, dont il faut citer quelques alinéas:

2. Les assureurs concluent avec le réseau de soins intégrés, un contrat qui règle notamment la collaboration, l’échange de données, la garantie de la qualité et la rémunération des prestations.

3. Le réseau de soins intégrés choisit, pour son organisation, une forme juridique garantissant le respect des conditions contractuelles conclues avec l’assureur.

4. Les fournisseurs de prestations regroupés dans un réseau de soins intégrés assument la responsabilité financière pour la couverture en soins médicaux des assurés dans la mesure convenue par voie contractuelle.

5. Le Conseil fédéral peut fixer des exigences concernant la qualité nécessaire des réseaux de soins intégrés et l’étendue de la coresponsabilité budgétaire.

Il avait été suggéré, au Conseil des Etats, que les réseaux s’organisent indépendamment des assurances; mais cette disposition a été biffée, montrant bien que le réseau n’a pas une vocation médicale seule, mais bien économique aussi. C’est la coresponsabilité budgétaire, notion nouvelle introduite dans la LAMal, et dont on peut craindre une évolution prioritairement financière.

Les instances dirigeantes de la FMH nous assurent que cette coresponsabilité ne porte que sur le budget prévisionnel, lequel serait établi en début de période comptable dans un but de planification uniquement. Mais les précisions que donne l’Association suisse des réseaux de médecins ont une autre portée: «Le budget concerne le collectif des assurés, tandis que la coresponsabilité budgétaire est assumée par le collectif des fournisseurs de prestations.» La part de chacun se fixe par la convention propre au réseau, mais la participation est obligatoire pour tous: «La coresponsabilité budgétaire est une part intégrante négociable de la convention; elle comprend le budget et la participation au bénéfice / au déficit.»

C’est en quelque sorte mettre au compte des médecins la responsabilité d’une part au moins des déficits de l’assurance! Et c’est une des raisons de l’opposition à la nouvelle mouture de la LAMal.

Autre motif d’opposition: l’augmentation de la quote-part aux frais de traitement pour les assurés qui n’adhèrent pas à un réseau. Dans un régime libre, comme on l’a connu avant la LAMal, le choix était à la convenance de l’assuré, et la cotisation en proportion de la couverture choisie. Ici, l’étendue de la couverture est la même, qu’on choisisse le réseau ou la médecine indépendante; dès lors la surtaxe apparaît comme une pénalisation pour les récalcitrants à la norme; car le réseau est considéré officiellement comme la norme, à preuve, nous dit-on, un large soutien de toute la population suisse (sondage du 8.9.2011, de Santésuisse, la faîtière des caisses-maladie). Non content de s’immiscer dans la formation du réseau, l’autorité fédérale lui impose des règles financières discutables.

Une exception doit être signalée pour une disposition actuelle qui permet aux assurés de certaines caisses de s’engager à passer pour tout traitement, en premier lieu, par leur médecin généraliste, qui dirigera ensuite le traitement, les analyses, les consultations éventuelles auprès de spécialistes. Cette formule permet une économie substantielle des cotisations à l’assuré, sans changer la pratique traditionnelle pour le médecin ni pour le patient. Mais sera-t-elle maintenue?

Le financement hospitalier par les DRG

Il s’agit ici d’un changement de la base de données sur laquelle se fonde le prix des hospitalisations. Il devrait prendre effet en janvier 2012. (Son application à la médecine ambulatoire est prévue pour plus tard.) En gros, au lieu de payer sa part sur la base des journées de malade, des médicaments, des soins, des frais de laboratoire, des opérations, des séjours en salle de soins intensifs, etc. (frais réels) l’assurance sera débitrice d’un montant relatif aux diagnostics attribués au malade; ce montant est ensuite combiné avec des données concernant l’hôpital (ou le réseau médical), son équipement, l’effectif du personnel, le nombre de places de formation, le nombre de patients et la structure de leur effectif, le genre, l’ampleur et les coûts des prestations fournies, les charges, les produits et le résultat d’exploitation, enfin les «indicateurs de qualité médicaux», critères qui ne sont pas encore définis. Beaucoup de ces renseignements n’ont pas trait au patient lui-même, mais au besoin de l’administration en vue de comparaisons entre les établissements de soins, de statistiques sur la santé et l’assurance-maladie. Cela représente un travail administratif considérable; aussi, la Société vaudoise de médecine, par son «Centre de confiance», et la FMH, ont-elles créé des services pour faciliter l’élaboration de ces données et les anonymiser avant de les transmettre. Mais on ne voit pas comment anonymiser des données personnelles que l’assurance exige pour le contrôle de chaque cas. D’ailleurs, ce contrôle existait déjà dans la LAMal dès sa création, avec l’obligation de communication du diagnostic à l’assuré ou à sa caisse-maladie («L’assureur peut exiger un diagnostic précis ou des renseignements supplémentaires d’ordre médical»). Rien de neuf ici, sinon que leur étendue a été augmentée et affinée, (la liste n’en semble pas encore arrêtée) à tel point que la majorité des hôpitaux de l’Association H+ a rejeté, en août dernier, un accord qui avait été conclu avec Santésuisse sur les modalités d’accompagnement du nouveau financement. Mais Santésuisse revient à la charge et fait appel à la responsabilité du Conseil fédéral, lui demandant de «reprendre les éléments essentiels de l’accord, de manière à éviter une situation chaotique et dommageable pour les assureurs payeurs de primes».

Les jeux ne sont pas faits du tout; les Chambres doivent encore se mettre d’accord sur la quote-part des assurés; le PS hésite aussi sur ce même sujet et sur d’autres; et certains semblent vouloir refuser toute la réforme; H+ refuse comme on l’a vu le système de remboursement à cause de l’atteinte à la sphère personnelle, la FMH est divisée, son comité est trop partial, trop proche de l’officialité, et certains de ses membres devraient décider prochainement du lancement d’un référendum; les médecins de Suisse allemande sont plus en faveur de la réforme que les Romands…

Ce qui nous dirige dans notre conclusion, c’est le doute qu’on peut avoir sur une amélioration financière du système, alors que c’était le but premier et le plus important au départ; mais c’est surtout le caractère étatiste de cette réforme, son atteinte aux libertés privées, le carcan qu’il impose dans un domaine où l’espace personnel est sa condition d’effectuation. Il est vrai, on ne peut que le répéter, que la faute première, congénitale, est l’obligation imposée à tous de s’assurer.

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