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Le casse-tête Rubik

Vincent Hort
La Nation n° 1925 7 octobre 2011
Dans le courant de l’été (les 10 et 25 août 2011), la Suisse a paraphé avec l’Allemagne puis avec le Royaume-Uni des accords destinés à régler le traitement fiscal passé et futur des fonds déposés auprès des banques suisses par les résidents de ces pays. Les accords avec ces deux pays sont très semblables en ce qui concerne les mécanismes prévus et diffèrent essentiellement quant au montant de l’acompte qui devra être versé par les banques, à savoir 2 milliards de francs pour l’Allemagne et 500 millions pour le Royaume Uni. Ils s’inscrivent dans la stratégie de la place financière suisse consistant à se focaliser dorénavant sur les avoirs dits «fiscalement conformes».

Ces accords permettent-ils de préserver les intérêts de la place financière helvétique ou s’agit-il d’une nouvelle reculade devant les pressions internationales auxquelles la Suisse est exposée, particulièrement depuis 2008? Pour tenter de répondre à cette question, quelques précisions sur le contenu de ces accords sont nécessaires.

Le projet Rubik a été proposé voici deux ans par l’Association des banques étrangères en Suisse au moment où la Confédération avait dû renégocier, sous la pression du G20, une série d’accords de double imposition afin d’éviter de se trouver reléguée dans la liste noire des paradis fiscaux.

Les accords conclus cet été avec l’Allemagne et le Royaume-Uni s’inspirent directement de Rubik. Pour simplifier, ils prévoient de mettre en place un impôt libératoire à la source permettant aux clients allemands et britanniques de régulariser leur situation fiscale tout en demeurant anonymes. Concernant la régularisation du passé, les banques suisses prélèveront un montant pouvant aller jusqu’à 34% des avoirs concernés. L’impôt ainsi perçu sera ensuite reversé au fisc étranger via l’Administration fédérale des contributions. Pour l’avenir, le client étranger aura le choix entre, d’une part, autoriser la banque à communiquer ses éléments imposables au fisc de son pays de résidence, ou, d’autre part, subir une «retenue à la source libératoire» qui sera aussi versée au fisc étranger. Le niveau de cette retenue a été déterminé en fonction des taux d’imposition en vigueur dans les pays concernés, soit 26.375% pour l’Allemagne et entre 27% et 48% pour le Royaume-Uni selon la nature des revenus soumis.

Suite à la conclusion de ces accords, les milieux bancaires ont exprimé une satisfaction globale mais sans triomphalisme. Outre la perspective de régler une bonne fois pour toutes la situation des fonds non déclarés déposés dans leurs coffres, les banques se réjouissent qu’une solution ait été trouvée permettant de préserver la «sphère privée en matière financière» de leurs clients et de faciliter leur accès aux marchés allemands et britanniques. Au delà, elles considèrent que Rubik permettra à la Suisse de repousser à long terme les revendications de la Commission européenne pour imposer l’échange automatique d’informations en matière fiscale.

Des voix discordantes se sont néanmoins fait entendre, notamment pour critiquer le rôle de percepteurs du fisc étranger que devront jouer à l’avenir les banques suisses et pour dénoncer le coût exorbitant, évalué à 500 millions de francs, de la mise en oeuvre du système prévu. En outre, les accords signés permettent aux autorités fiscales étrangères de procéder à un nombre prédéterminé de demandes d’information en dehors des circuits habituels de l’entraide judiciaire. Ces dispositions ont également été critiquées comme un dangereux précédent en direction de l’échange automatique d’informations.

A l’étranger, certains milieux politiques – allemands notamment – ont contesté l’accord sous l’angle des principes puisque l’évadé fiscal pourrait conserver son anonymat à l’égard du fisc et que le prélèvement d’un montant allant jusqu’à 34% de son patrimoine ne suffirait pas à laver sa faute.

D’autres pays ont manifesté des signes d’intérêt plus ou moins explicites. Pour la Suisse, les prochaines «cibles» intéressantes seraient évidemment la France et l’Italie avec lesquelles les relations sur le dossier fiscal sont délicates, voire carrément mauvaises. Néanmoins, dans le contexte de la crise européenne de la dette, la perspective de bénéficier de la manne fiscale en provenance des banques suisses pourrait amener les gouvernements de ces Etats à assouplir quelque peu les principes brandis jusqu’ici et à relativiser leurs scrupules moraux.

A ce jour, le processus de ratification des accords signés avec l’Allemagne et le Royaume-Uni débute. Le calendrier est relativement court en vue d’une entrée en vigueur au 1er janvier 2013. Une fois signés, les accords Rubik, éventuellement étendus à d’autres pays, devront être ratifiés avant d’entrer en vigueur et de déployer tous leurs effets. Ce processus – soumis en outre au référendum facultatif – prendra au minimum deux à trois ans. Il serait illusoire de penser que, dans l’intervalle, les pressions que la Suisse subit de la part de ses partenaires cesseront. Rubik pourra certes donner au Conseil fédéral des arguments pour repousser ou freiner de nouvelles concessions. Mais rien dans les accords paraphés cet été ne garantit à la Suisse que de nouvelles revendications ne viendront pas tôt ou tard sur la table des négociations.

Autre élément de la négociation, l’accès facilité aux marchés allemand et britannique pour les banques suisses peut constituer une contrepartie intéressante pour le secteur bancaire. Force est de constater que les accords signés cet été sont fort peu bavards à ce sujet.

Dans un jeu où seuls les rapports de force comptent, les arrière-pensées ne sauraient être exclues. Face à des Etats qui n’ont pas hésité à recourir à des procédés non conformes à la loi (recel de données volées) et ne se sont pas privés d’adopter des postures agressives à l’encontre de la Suisse, la vigilance, au minimum, doit rester de mise.

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