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La place de la générosité dans la loi

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1970 28 juin 2013

L’Église catholique et la Fédération des Églises protestantes de Suisse ont recommandé le refus du durcissement de la loi sur l’asile. Mgr Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, s’en explique dans La Liberté1.

N’aimant guère se mêler de politique, tant par tempérament que par prudence, Mgr Morerod balance entre la raison et le cœur. Certes, «il est tout à fait évident que la Suisse ne peut pas accueillir tous ces réfugiés économiques», certes encore, «le trafic de drogue est en partie entre les mains de demandeurs d’asile» et «les requérants d’asile participent à la surpopulation carcérale». Mais au final, tout de même, «nous manquons un peu de générosité».

M. Pascal Bertschy répond dans le même journal2: «Seul problème, avec les autorités ecclésiastiques: elles ne disent pas à partir de quel degré, dans le désintéressement, nous autres trouverions enfin grâce à leurs yeux.» Où, demande-t-il sarcastiquement, les autorités «fixent-elles concrètement la barre de la générosité?» Dix millions de réfugiés? trente millions? cent millions? Dans une surenchère bouffonne, il émet des suggestions qu’il rejette à chaque fois comme certainement insuffisantes aux yeux de l’Église, pour fixer finalement la barre à six cent millions.

La charge est grosse, mais elle réagit opportunément à la charge plus grosse encore que les Églises placent sur les épaules du citoyen suisse en lui imposant cette exigence morale aux contours incertains et surtout extensibles: «plus» de générosité.

Un évêque peut bien entendu demander à ses ouailles de consentir un de ces actes particuliers qui élève la personne au-dessus d’elle-même. Mais a-t-il le droit de le faire en passant par une loi qui prolongera indéfiniment l’exigence? En d’autres termes, peut-il demander, même aux meilleurs, de se tenir sans cesse au-dessus de leur état ordinaire, d’être en perpétuelle attitude de don et de sacrifice de soi? Se contraindre en permanence engendre la dépression ou le pharisaïsme, l’un n’excluant pas l’autre.

De plus, que vaut une générosité obligatoire? Que reste-t-il de la générosité quand la liberté d’offrir disparaît au profit d’un vote mettant en marche un mécanisme obscur de traitement de dossiers, de décisions de prise en charge ou de renvoi sur lesquelles la générosité personnelle n’a plus la moindre prise?

D’ailleurs, un pays n’est pas une personne humaine capable de prendre ses distances par rapport à ses besoins et ses intérêts. La notion même de générosité collective est fondamentalement discutable.

Il est en tout cas politiquement sans lendemain d’imposer à la population des lois plus «morales» qu’elle-même ne l’est dans son ensemble. Une loi conçue trop généreusement se paie immanquablement d’une bassesse équivalente dans son application. C’est précisément ce qu’on peut reprocher à la loi suisse: grandiose dans son principe, qui offre théoriquement le droit d’asile à tous les damnés de la terre, elle est mesquine en proportion dans son application.

Car c’est effectivement dans sa structure générale, et non dans le cœur des citoyens que la politique d’immigration pèche: attribution d’un droit d’asile subjectif aux dizaines de millions de demandeurs potentiels évoqués par M. Bertschy; nécessité de rattraper cette générosité dévoyée par des procédures douteuses; confusion entre l’asile et l’immigration, qui fait qu’on traite un phénomène de masse au cas par cas; pression constante de la Convention de non-refoulement, laquelle s’applique, paraît-il, même aux États qui ne l’ont pas signée.

Les ecclésiastiques manifestent volontiers un certain dédain pour la politique. Ils la considèrent comme une sorte de morale collective un peu dégradée qu’on impose par la contrainte de la loi.

Or, la politique est une activité noble, ordonnée au bien commun de l’État – en l’occurrence, ce qui ne simplifie pas les choses, d’une Confédération d’États cantonaux.

Ce bien commun est constitué non seulement, ni même d’abord, de prospérité économique, mais d’un certain équilibre général, d’une certaine unité de mœurs qui lie entre elles les nombreuses composantes de la communauté politique. Le législateur peut détruire cet équilibre social en lui imposant une générosité illimitée sous forme d’une perméabilité excessive.

Curieuse générosité qui nous ferait léguer à nos descendants un pays déstructuré, un territoire déserté par le sens que lui avait donné une longue histoire commune, encombré de groupes de toutes espèces, religieux, idéologiques, ethniques, identitaires européens ou de quartier, tous étrangers les uns aux autres et souvent hostiles!

Générosité bien ordonnée… La loi suisse sur l’immigration doit être conçue de façon à protéger nos institutions et nos mœurs. La générosité qu’à raison les Églises nous recommandent de manifester à l’égard des étrangers ne doit pas interférer dans la définition de ce cadre, mais seulement se déployer à l’intérieur. Il y a là assez à faire pour occuper le citoyen normalement généreux.

Notes:

1 «Ces mesures ne sont pas une solution», interview de Serge Gumy, La Liberté du 29 mai 2013.

2 «Tu sermonneras ton prochain», La Liberté du 4 juin 2013.

 

 

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