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Juvenilia CXI

Jean-Blaise Rochat
La Nation n° 1970 28 juin 2013

Samir, on l’aurait traité autrefois de «crapaud de gamin», ma mère aurait dit «chenoille»: une canaille sympathique qui m’a roulé pendant deux ans avec son charme, sa politesse spontanée, son humour distingué, son vocabulaire choisi bien supérieur à celui de ses pairs, son esprit nuancé, sa gentillesse débordante. Son indépendance de caractère se paie par une absolue indocilité. Mais il est toujours de bonne humeur et je ne le vois renfrogné que devant son incapacité à émerger du néant orthographique où le plonge une paresse invincible: apprendre des règles? Être attentif? Corriger? Recopier? Réviser? Ah! ça… Au reste, un fond de vanité et le goût de l’esbroufe l’engagent de temps en temps à des coups d’éclat qui sont autant de traits de génie, et laissent envisager l’étendue de la mine inexploitée de ses talents.

Je suis coupable d’une indulgence excessive que, par souci d’équité, j’ai appliquée à d’autres gentils voyous de son acabit qui auraient mérité un sérieux recadrage. A cause de cette politique déraisonnable, j’ai laissé fléchir dangereusement le niveau général de la discipline dans toute la classe.

Il y a quelques semaines, je lui infligeai un léger pensum qu’il négligea de me rendre dans les délais, comme c’était prévisible. Il fut puni de deux heures de retenues. L’autre jour, au moment où j’entrais en classe, il sautait de table en table, comme un écureuil ivre. Moi aussi j’étais ivre, mais de rage. Rebelote: deux heures supplémentaires.

– Sais-tu, Samir, qu’il y a plus de trente ans que j’exerce ce métier et que c’est la première fois que je punis un élève aussi lourdement en si peu de temps?

– Ne vous en faites pas, vos retenues, je les fais volontiers, elles sont méritées.

Puis, sur le seuil de la classe, il se retourne et me lance avec un sourire étudié:

– Qui aime bien châtie bien. Donc vous m’appréciez. Avouez que vous m’aimez bien.

 

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