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Un dictionnaire francophone

Yves Gerhard
La Nation n° 1970 28 juin 2013

Lorsqu’en 2010, sollicité pour Paul Budry, j’ai reçu le projet d’un Dictionnaire des écrivains francophones du Nord (Belgique, Canada, Luxembourg, Suisse), je me suis réjoui que l’Université de Cergy-Pontoise s’intéresse à nos auteurs. Mais j’ai été pris d’un frisson angoissé quand, dans les intentions générales, j’ai lu: «[…] et les quatre cantons suisses francophones – Genève, Vaud, Neufchâtel, le Jura». Allait-on écarter Corinna Bille et Maurice Chappaz? Si de telles imprécisions figurent dans les documents de départ, qu’espérer à l’arrivée?

Le Dictionnaire des écrivains francophones classiques, Belgique, Canada, Québec, Luxembourg, Suisse romande, de Corinne Blanchaud, vient de sortir de presse chez un grand éditeur parisien spécialisé dans l’histoire littéraire, Honoré Champion. Une centaine de collaborateurs ont présenté, selon des consignes très précises, le ou les auteurs dont ils étaient des spécialistes et, disons-le sans aucune flatterie mal placée et malgré mes préventions, le résultat est remarquable.

Par «classiques», il fallait entendre les écrivains qui ont publié une œuvre littéraire d’une certaine ampleur, rééditée ou traduite, ayant reçu un ou plusieurs prix littéraires, jouissant d’une certaine notoriété dans le pays où ils travaillent. Le dictionnaire couvre le XIXe et le XXe siècle.

Dans le choix définitif, seuls trois écrivains romands du XIXe siècle figurent à l’inventaire: Juste Olivier (la réédition du Canton de Vaud par les Cahiers de la Renaissance vaudoise a été omise), Amiel et Töpffer. La volonté de privilégier le XXe siècle est évidente. Prévus dans une première liste, Édouard Rod, Eugène Rambert et Alexandre Vinet ont disparu par la suite – tant pis pour ces trois grands Vaudois!

Les auteurs du XXe siècle, pour les Romands, sont au nombre de trente-six; s’y ajoutent cinquante-trois Belges, quarante- quatre Québécois, sept Canadiens non-québécois et sept Luxembourgeois, ce qui porte le total des notices à cent cinquante exactement. Nous ne parlerons ici que des Romands.

Plus qu’à un dictionnaire, l’aspect général du volume fait penser à une suite de chapitres ou de brèves monographies: un caractère clair et bien lisible, une rédaction fluide et précise, les références placées en fin de notices, avec toutes les précisions voulues (éditeurs, nombres de pages, préfaciers, illustrateurs…). La plupart des écrivains disposent de développements qui permettent les nuances et les appréciations littéraires: ni la présentation, ni le fond ne sont étriqués.

Le choix des entrées a été une opération évidemment cruelle et difficile, pour que soient respectées les dimensions prévues de l’ouvrage. La qualité littéraire semble avoir été le critère principal, et c’est ainsi que des auteurs importants et populaires comme Anne Cuneo ou Jacques-Etienne Bovard en sont absents. Mais on regrette qu’une calamiteuse paresse l’ait privé des notices sur Etienne Barilier et Jacques Mercanton, qui étaient pourtant prévues. Sauf erreur, il s’agit du premier dictionnaire littéraire français qui offre une entrée «Paul Budry». Les chapitres ont principalement été rédigés par des spécialistes romands, mais il faut mentionner qu’une importante partie d’entre eux (Amiel, C. Bille, Bouvier, Chessex, Cingria, Crisinel, Giauque, A.- L. Grobéty, Haldas, Jaccottet, Ella Maillart, P.-L. Matthey, Grisélidis Réal (!), Schlunegger, Töpffer, Voisard) ont pour auteurs des professeurs français, et il convient de souligner la qualité des contributions de Peter Schnyder, de l’Université de Haute-Alsace (Mulhouse), et des lecteurs attentifs de l’Université de Cergy-Pontoise, actifs dans le «Centre de Recherches Textes et Francophonies».

A propos de francophonie, ce mot fait l’objet d’un développement dans la préface de Jean Pruvost: il constate que le mot, pourtant usité dès 1880, n’entre dans le Petit Larousse qu’en 1971. Mais notre surprise est de taille: malgré les définitions indiquées, pour les Français, sont francophones les personnes qui parlent le français hors de France. Analysant sous cet angle l’introduction des diverses éditions du Dictionnaire de l’Académie, le préfacier souligne que cet ouvrage, en 1992, a introduit «quelques mots régionaux et d’autre part, quelques mots relevant de la francophonie» (p. 17). Tous les exemples cités indiquent des régions hors de France.

La «présentation» de Mme Corinne Blanchaud, qui a dirigé l’édition, remarque: «Force est de constater que les lecteurs français connaissent peu ces auteurs francophones du Nord qui sont d’ailleurs presque absents de nos programmes et manuels scolaires et universitaires» (p. 26). Si, au Québec, les écrivains de la région sont connus et présents dans le cursus scolaire, c’est le contraire qui est vrai pour la Belgique «et surtout pour la Suisse (…). Les universitaires suisses déplorent l’absence, dans leurs programmes d’enseignement, des auteurs du patrimoine romand: la littérature de langue française transmise dans les universités suisses est la littérature française, à de rares exceptions!» (p. 27) Malgré un gros effort savant pour éditer, analyser, synthétiser ce riche trésor, il reste méconnu en dehors du cercle des lecteurs et des spécialistes. Même remarque pour l’histoire vaudoise, si bien étudiée et si peu connue du grand public.

Après un Dictionnaire des écrivains francophones classiques, Afrique subsaharienne, Caraïbe, Maghreb, Machrek, Océan indien publié en 2010, l’Université de Cergy-Pontoise, qui a également réalisé l’ouvrage présenté ici, mérite l’admiration et la reconnaissance de notre bon «pays romand». Il s’agit d’un tournant important: une équipe d’universitaires français et un éditeur parisien offrent à la Suisse romande, à la Belgique et au Canada francophones un ouvrage de référence qui fera date dans les annales de la diffusion de ces écrivains en France. La «province qui n’en est pas une» est maintenant à la portée de la métropole.

 

Référence:

Corinne Blanchaud, Dictionnaire des écrivains francophones classiques, Belgique, Canada, Québec, Luxembourg, Suisse romande, Paris, Honoré Champion Éditeur, 2013, index, 574 p., 22 € (!), ISBN 978-2-7453-2582-2.

 

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