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L’âge de la retraite

Jean-François Cavin
La Nation n° 1970 28 juin 2013

L’élévation de l’âge de la retraite enflamme régulièrement les passions.

Elle est pourtant inéluctable dans tous les pays où l’espérance de vie augmente: pour financer les pensions d’un nombre croissant de retraités, les cotisations payées par les générations actives tendent à surcharger celles-ci. Il est donc normal de demander aux seniors – d’ailleurs un peu mieux portants en moyenne que jadis quand ils sont en chemin vers la septantaine – de prolonger un peu l’exercice de leur métier. Mais si la population accepte volontiers la perspective de vivre plus longtemps, elle rechigne en général à besogner quelques mois de plus. Car le travail, si précieux quand le chômage sévit et si usant quand on en demande davantage aux sexagénaires, ressemble à la pluie pour beaucoup de gens: on y aspire quand ça manque, on ronchonne quand ça dure.

Il existe certes des personnes qui adorent leur profession, parfois ne vivent que par elle, et peinent à l’abandonner. Il existe aussi des gens qui sont las du labeur et anticipent le moment de se consacrer au jass, au jardinage, à la pêche ou à la randonnée. On ne peut donc pas déterminer uniformément, du point de vue du confort des individus, un «juste» âge de la retraite. L’usure dépend du genre d’activité et du tempérament (ou de la santé) des personnes. On connaît des gens qui sont nés fatigués; ou qui, figés dans leurs habitudes, n’ont pas su s’adapter à l’évolution de la profession. On en voit d’autres, notamment chez les indépendants, qui restent dynamiques et frais jusqu’à septante-cinq ou huitante ans. La Nation a bénéficié, et bénéficie encore, de la pensée ferme et de la plume alerte de nonagénaires!

Sur le plan collectif, en revanche, il est usuel de fixer un âge de la retraite standard – même si des anticipations ou des prolongements individuels sont possibles – comme point de repère pour le versement d’une rente complète, c’est-à-dire celle que l’État juge convenable pour ses ressortissants du troisième âge qui ont cotisé durant l’essentiel de leur vie active. Car les régimes sociaux assurent aux aînés un revenu de base dont l’État moderne se sent responsable.

Cet âge normal de la retraite varie selon les pays. En France, où il était fixé à 60 ans jusqu’à récemment, il sera porté à 62 ans d’ici 2017, selon une décision prise sous la présidence de M. Sarkozy (avec beaucoup d’exceptions et dans un grand tumulte). M. Hollande, durant sa campagne électorale, a promis de le ramener à 60 ans, ce qu’il ne fera pas. Il cherche plutôt à renforcer la réforme de son prédécesseur, qui ne suffit pas à résorber un déficit annuel de 20 milliards et à affronter la perspective de compter, dans quelques décennies, quinze retraités pour vingt actifs. Des États plus raisonnables passent progressivement à 67 ans (Allemagne, Pays-Bas, Danemark), voire à 68 ans (Royaume-Uni). Même les États du sud de l’Europe, sous la pression financière, repoussent l’âge de la retraite à 66 ans (Portugal, Italie) ou à 67 ans (Espagne, Grèce), le changement étant le plus souvent étalé sur une longue période. Ce tableau, brossé sommairement, fait notamment abstraction de la durée des cotisations nécessaire pour obtenir la rente complète. Mais la tendance est claire.

Dans un tel contexte, comment apprécier l’orientation adoptée par M. Alain Berset et par le Conseil fédéral, qui veulent aligner l’âge normal de la retraite des femmes (aujourd’hui 64 ans) sur celui des hommes (65 ans)? Ce projet fait pousser de hauts cris à la gauche pure et dure, pourtant intransigeante d’ordinaire sur l’égalité des sexes. Mais quand l’égalité entraîne des désagréments… Quoi qu’il en soit, le défaut des propositions fédérales est inverse: c’est son insuffisance, alors que la sécurité de la prévoyance- vieillesse à long terme exigerait un allongement du temps d’activité pour tous. Certes, Pascal Couchepin s’est cassé le nez en proposant 67 ans. Certes, le fonds de compensation de l’AVS n’est pas actuellement dans une situation périlleuse. Certes, la croissance économique est au rendez-vous. Certes, l’immigration renforce les classes d’âge actives et conforte le financement de l’assurance. Mais ces classes d’âge vieilliront, et qui peut prédire qu’une nouvelle vague d’immigration juvénile viendra à leur secours le moment venu? Qui peut tabler sur une croissance continue? La révision annoncée par le Conseil fédéral, qui porte sur bien d’autres aspects que l’âge terme, se veut une réforme majeure; elle n’aboutira pas avant plusieurs années et fixera probablement la norme pour des lustres. Ce n’est donc guère clairvoyant de la concevoir si timidement. Cela d’autant plus que l’augmentation de l’âge de la retraite, sujet sensible, doit se réaliser très progressivement pour être acceptée: un à deux mois de plus chaque année. Il faut donc voir loin.

On formulera des remarques analogues à propos de l’assainissement de la Caisse de pensions de l’État de Vaud, avec la retraite portée à 62 ans, et de la Caisse intercommunale de pensions (63 ans). S’agissant de l’État, on a célébré un compromis historique entre le gouvernement et les syndicats du personnel. C’est vrai que chacun y a mis du sien. Mais au fond, il est scandaleux que les employés du secteur public bénéficient, dans les circonstances démographiques actuelles, d’une retraite complète à 62 ans au plus tard. Sous réserve de certaines fonctions (dans la police par exemple), le service de l’État n’est pas plus pénible que le travail dans les entreprises privées. Il n’y a pas de justification à faire porter aux contribuables le poids principal d’un tel privilège.

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