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Suivez le guide – Messes clandestines, reliques et trésor de la Cathédrale

Ernest Jomini
La Nation n° 1970 28 juin 2013

– Monsieur, vous dites que la messe a été interdite par les Bernois le 19 octobre 1536. Mais maintenant on la célèbre de nouveau, puisqu’on est dans une cathédrale.

– Mais non, Madame, nous sommes dans une cathédrale protestante.

– Quoi? Une cathédrale protestante?

Nos touristes français, mais aussi italiens, espagnols ou sud-américains ont peine à imaginer qu’il puisse exister des cathédrales protestantes. Nombre d’entre eux ne manquent pas de faire un signe de croix ou une génuflexion quand ils pénètrent dans le sanctuaire. Une infirmière française engagée pour travailler au CHUV nous a même raconté que, lors de son premier dimanche à Lausanne, elle s’était naturellement rendue à la messe à la Cathédrale. Elle en était ressortie fort étonnée, se disant que les catholiques suisses se livraient à d’étranges célébrations.

Du XVIe au XXIe siècle, une seule messe fut célébrée à la Cathédrale: le 3 octobre 1802. Les autorités de la République Helvétique moribonde, poursuivies par les troupes des fédéralistes, s’étaient repliées sur Lausanne. Il y avait des catholiques parmi eux. On demanda donc au curé d’Assens, Joseph Jaccottet, de célébrer pour eux une messe dans le chœur de la Cathédrale.

Et les messes clandestines à la Cathédrale? Il y a cinquante ans, une rumeur prétendait que chaque année, le 7 septembre, un prêtre se dissimulait le soir derrière une colonne, se laissait enfermer dans l’édifice au moment où le concierge fermait les portes et célébrait la messe à l’aurore du 8 septembre, fête de la Nativité de la Vierge. Dans son ouvrage La Réforme en Pays de Vaud (1985), l’historien Michel Campiche se fait aussi l’écho de cette rumeur, précisant que le prêtre pénétrait dans l’édifice «par un passage secret» (lequel?).

Cette rumeur est ancienne. Nous avons déjà parlé des deux prêtres du district d’Echallens qui s’étaient rendus auprès de Druey avant la guerre du Sondrebond. En refusant leur requête, Druey leur avait déclaré: «Vous, catholiques, quand on vous accorde le petit doigt, il faut que la main et le bras y passent. Vous allez bientôt nous demander la Cathédrale pour votre culte. A ce propos je sais fort bien que, chaque année, votre Évêque vient encore, la nuit de Noël, dire la messe dans la Cathédrale!» Pourquoi ne mettait-il pas une escouade de gendarmes en faction pour empêcher le prélat d’y pénétrer?

L’historien Henri Vuilleumier rapporte qu’en 1694 des étrangers catholiques, logeant à la Cité-Derrière dans un hôtel-pension tenu par le régent du Collège, Daniel Crespin, se seraient introduits plusieurs nuits de suite dans la Cathédrale pour y célébrer la messe. Le marguillier de la Cathédrale avait même vu la nuit une échelle destinée à franchir le mur du cimetière des cloîtres d’où l’on pouvait accéder au chœur de ce qu’on appelait à l’époque bernoise «le grand Temple». Ces rumeurs provoquèrent même une émeute: des Lausannois s’en vinrent lancer des pierres contre la maison de Crespin.

Que penser de toutes ces rumeurs de messes clandestines? L’historien a besoin de faits et non de rumeurs. Par ailleurs, plus besoin de messes clandestines.

La nouvelle Constitution vaudoise de 2003, la nouvelle loi ecclésiastique et l’interpellation du député Jacques-André Haury au Grand Conseil ont permis d’ouvrir la Cathédrale occasionnellement aux autres communautés chrétiennes du Canton.

Une messe est célébrée officiellement une fois par année.

– Monsieur le guide, une autre question: que sont devenues les reliques et le trésor de la Cathédrale?

– Propriétaires de la Cathédrale, les chanoines, avant même la Dispute de Lausanne et pressentant ce qui allait arriver, avaient mis à l’abri une partie du trésor et les reliquaires. Ils avaient aussi confié au Conseil de la Ville les tapisseries et vêtements liturgiques. Après la journée de pillage et de destruction du 20 octobre 1536, la Cathédrale fut fermée pendant plusieurs mois. Le 15 février 1537, des commissaires, arrivés de Berne pour régler les problèmes ecclésiastiques, citent les chanoines à comparaître et leur demandent s’ils veulent accepter la Réforme; dans ce cas ils conserveront leurs bénéfices ecclésiastiques. Cinq d’entre eux acceptent, la majorité refuse. On leur demande de livrer le trésor de la Cathédrale. Comme ils refusent, on les enferme dix jours au Château jusqu’à ce qu’ils cèdent. Le 18 avril, Lausanne demande de pouvoir conserver la part du trésor dont elle avait la garde. Elle se fera vertement remettre en place et par la même occasion Berne l’obligera à rompre la combourgeoisie avec Fribourg.

Quelles étaient les reliques? Le pape Grégoire X, lors de la consécration de 1275, avait déposé au maître-autel: un morceau de la Croix, des cheveux de la Vierge, le fragment d’une côte de Marie- Madeleine, une côte de saint Laurent, un morceau du Saint-Sépulcre, du sépulcre de la Vierge, de la crèche, de la croix de saint André. En outre, il y avait les reliques des trente-deux autels latéraux. On connaît le sort des reliquaires et des chasses d’or ou d’argent. Mais les reliques elles-mêmes n’intéressaient pas les Bernois. Les ont-ils jetées au ruclon ou brûlées? La vingtaine de chanoines qui n’acceptèrent pas la Réforme les emportèrent-ils avec eux lorsqu’ils se réfugièrent à Évian, conquise par les Valaisans lors de leur occupation de la rive gauche du Rhône? Beau champ d’étude pour les futurs historiens.

Les nombreux objets en or ou en argent de la Cathédrale furent tous ramassés et prirent le chemin de Berne. Le bailli Naegeli ordonna même de démonter les tuyaux de l’orgue (étaient-ils en argent?). Dix-huit chars transportant le trésor de la Cathédrale et des autres églises de Lausanne quittèrent notre ville, Tout ce qui était monnayable fut fondu pour enrichir le trésor de la Ville souveraine. Les Bernois pouvaient être satisfaits: ils avaient arraché leurs nouveaux sujets vaudois aux «erreurs papistes» et réalisé une bonne opération financière. Le Trésorier, qui avait noté en détail la valeur des objets fondus pour faire de la monnaie et effectué l’addition finale, put donc écrire en toute bonne conscience au bas de la page: Gott hab Lob (Dieu soit loué).

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