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Les Chambres jettent le (futur) bébé avec l’eau du bain

Cédric Cossy
La Nation n° 1996 27 juin 2014

A ce jour, environ six mille couples ont annuellement recours à la fécondation in vitro (FIV) en Suisse, ce qui conduit à la venue au monde d’un peu plus de deux mille bébés-éprouvettes. La loi actuelle impose aux médecins agréés un maximum de trois embryons préparés in vitro et leur implantation immédiate, sans possibilité de conservation par congélation.

Voici exactement une année (La Nation du 28 juin 2013), nous critiquions le premier projet de réforme de la réglementation régissant la FIV et le diagnostic génétique préimplantatoire (DPI). Concernant la FIV, nous lui reprochions d’introduire la possibilité de n’implanter qu’un embryon, ses deux semblables pouvant être conservés par congélation pour usage ultérieur en cas d’échec de la première implantation. Nous rejetions cette pratique, qui ne fait aucun cas des êtres parfaitement déterminés pouvant se développer à partir des embryons surnuméraires, et condamne ceux-ci à l’incinérateur si la première tentative d’implantation est réussie.

La seconde modification contre laquelle nous nous élevions était l’autorisation, dans un nombre de cas qui se voulait extrêmement restreint, du diagnostic génétique préimplantatoire (DPI). Celui-ci ne devait être possible que pour la petite centaine de couples prédisposés à certaines maladies génétiques graves, ceci afin de présélectionner, cette fois parmi un nombre d’embryons augmenté à huit, le candidat ne présentant pas de tare génétique. Aux raisons motivant notre rejet des modifications concernant la FIV, s’en ajoutait ici une autre: à quel titre les futurs parents et leur médecin seraient-ils autorisés à décider, parmi les embryons, lesquels auraient une chance de vivre et lesquels seraient destinés à l’incinérateur?

Le projet tel que voté par le Conseil des Etats l’année passée ne présentait qu’une bien faible cohérence éthique ou scientifique sur les limites admissibles du DPI. Il n’est donc pas étonnant que le Conseil national ait passé outre les limites envisagées par la Chambre des cantons. La Chambre du peuple a ainsi décidé de déplafonner le nombre d’embryons qui peuvent être préparés dans les cas où le DPI est autorisé au couple, et d’étendre le dépistage préimplantatoire aux anomalies génétiques telle la trisomie. L’emploi du DPI pour sélectionner des «bébés médicaments»1 a en revanche été refusé par une courte majorité.

La position des deux Chambres reste irrationnelle et à mi-chemin de l’alternative qui se présente pour définir l’embryon: la première possibilité est celle défendue par les chantres de la procréation artificielle. L’embryon est du matériel biologique sans existence propre et autonome. Dans cette logique technologique, toute manipulation sur les embryons in vitro est éthiquement acceptable. Il n’y a aucune logique à fixer la limite entre la détection de tares génétiques et le choix du bon bébé médicament. Du moment qu’on considère les embryons comme du matériel biologique sans âme, pourquoi ne pas autoriser le DPI pour choisir le sexe ou la couleur des yeux de son enfant?

Cependant, même les défenseurs du DPI attribuent une certaine identité au petits amas de cellules que représente l’embryon. Se pose tout d’abord la délicate question du changement de statut: à quel moment – nidification, gastrulation, neurulation, voire après quatorze semaines? – l’embryon passe-t-il de l’amas de cellules à l’être à part entière qui mérite soins et protection? Ensuite, les parents recourant à une FIV souhaitent des embryons contenant leurs gamètes et non pas n’importe quel matériel génétique anonyme. Si accoucher de la chair de sa chair reste un critère important, c’est que le petit amas initial de cellules a déjà un semblant d’identité. Enfin, la coloration éthique des débats du Conseil national montre que l’embryon jouit d’un peu plus de considération que du simple matériel biologique: le DPI pour les enfants médicaments a été refusé pour ne pas tomber dans l’eugénisme, c’est-à-dire la sélection des êtres les plus aptes à un projet social. S’il y a risque d’eugénisme, c’est donc que l’on sélectionne des embryons reconnus comme des êtres.

L’autre possibilité, que nous défendons, considère l’embryon dès la fécondation comme un être en devenir, avec toutes ses potentialités, mais aussi toutes ses éventuelles tares et défauts. Le principe ne souffre pas de compromis: chaque concession faite à la vision scientifique de l’embryon appellera logiquement et inéluctablement les suivantes, jusqu’à la libéralisation intégrale de la manipulation en embryologie humaine.

C’est la position des milieux religieux et anti-avortement, ce qui conduit nombre de personnes sensées à la rejeter par réflexe. Nous recommandons à celles-ci d’appliquer le principe de précaution, principe si universellement accepté pour justifier certains délires sécuritaires ou autres campagnes de prévention de la santé publique: s’il est scientifiquement si difficile de définir l’instant de l’apparition de la vie propre à l’embryon-fœtus, il faut, par précaution, éviter toute manipulation ou destruction d’embryons.

Terminons en reprenant la même conclusion qu’il y a une année: le projet de réforme de la réglementation sur la FIV nécessite une modification constitutionnelle soumise obligatoirement au peuple et aux cantons. Nous nous y opposerons le moment venu.

Notes:

1 Bébés dont la naissance est programmée en espérant pouvoir récupérer des cellules souches du cordon ombilical, compatibles pour traiter un frère ou une sœur atteint d’une déficience génétique. La compatibilité génétique d’un enfant conçu par méthode traditionnelle étant aléatoire, un DPI permettrait de sélectionner un embryon présentant les bonnes caractéristiques.

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