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Fédéralisme de mauvais temps

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2145 27 mars 2020

La presse a relancé la machine à poncifs, dénonçant une fois de plus la «cacophonie» fédéraliste et le spectacle «chaotique» des mesures cantonales. Elle a répété que le système suisse ne fonctionne «que par beau temps». Si le Conseil fédéral rencontre les chefs de gouvernements cantonaux, elle se réjouit du fait qu’«il leur remonte les bretelles».Tel exulte: «Berne dicte, Vaud exécute.» Telle autre1 s’en prend non seulement au fédéralisme, mais aussi aux libertés individuelles et au caractère collégial du Conseil fédéral. Oui, comme ce doit être confortable et excitant d’être dirigés par le camarade Xi Jinping!

Ces gens font comme si le fédéralisme n’avait d’autre raison d’être que d’entraver la Confédération et de rendre impossible le plein déploiement de ses compétences. Dans son blog du Temps2, M. Olivier Meuwly s’en est pris vigoureusement à cette inaptitude chronique à aller au fond des choses.

En fait, les fédéralistes ne s’opposent à la Confédération que lorsque l’administration fédérale ou le Parlement veulent priver les cantons d’une compétence. Le fédéralisme est un équilibre entre deux pouvoirs de nature différente s’exerçant sur le même sol, une marche à pas feutrés entre l’implosion centralisatrice et l’explosion centrifuge. Les fédéralistes contribuent à cet équilibre en luttant contre la pesanteur centralisatrice consubstantielle à l’Etat fédératif de 1848. C’est cet équilibre même que la presse a tant de peine à accepter, ou même à comprendre.

En général, les deux niveaux politiques collaborent convenablement, chacun se tenant à sa place et y jouant son rôle. Qu’il fasse beau ou mauvais temps n’y change rien. Simplement, lors des crises, la collaboration se fait naturellement plus étroite, ce qui rend la situation plus délicate: le Conseil fédéral doit veiller à rester strictement dans son rôle, et les cantons à se faire respecter. Mais d’autres avantages du fédéralisme apparaissent alors, notament dans la préparation et la mise en œuvre du dispositif. C’est ce qui se passe aujourd’hui. Et ça se passe en trois temps.

Les gouvernements cantonaux ont pris les premières dispositions sanitaires et d’ordre public. C’est logique: ils sont les plus proches du terrain. Ces mesures, toutes plus ou moins liberticides, sont lourdes pour les populations. Il faut tâter le terrain sur les plans sanitaire et psychologique. Comme l’écrit M. Meuwly, comme l’a répété le conseiller d’Etat Pascal Broulis, les cantons servent de laboratoires. Chacun d’eux fait, à sa manière, ses propres expériences, lesquelles nourrissent la réflexion de ses voisins et de l’Etat fédéral.

Dans un deuxième temps, le Conseil fédéral démarre. Rappelons tout de même qu’il y a été fortement incité par quelques cantons, le Tessin, Neuchâtel et Vaud, notamment. Se fondant sur les résultats cantonaux, coupant ici, ajoutant là, il a pris des mesures générales qui nous semblent de bon sens. Aucun fédéraliste ne va se plaindre de ce que les cantons contribuent à la décision fédérale ni de ce que le Conseil fédéral, dans un temps de crise, assume et supervise la cohérence des politiques cantonales.

On peut regretter que les cantons n’aient pas gardé la liberté d’être plus sévères que la Confédération. Certes, en ce qui concerne le confinement total, décidé (sans lendemain) par Uri et envisagé, semble-t-il, par le Conseil d’Etat vaudois, nous sommes plutôt de l’avis du Conseil fédéral, qui craint de désastreuses retombées économiques et psychologiques. Mais on est là dans l’ordre du vraisemblable, non du certain. C’est un pari et les Etats cantonaux devraient rester libres de parier différemment.

Dans un troisième temps, les cantons ajustent leur politique initiale en fonction des décisions fédérales. Chaque gouvernement cantonal reprend alors la main et applique ces décisions en fonction de la situation particulière de son canton. Et le jeu du va-et-vient continue au fil des jours, attentif, réactif, souple.

Le système fédéraliste est un système du quotidien à long terme. Il repose sur une tension acceptée entre les souverainetés originaires cantonales et le pouvoir fédéral délégué. Par «mauvais temps», l’équilibre fédéraliste entretient un efficace mélange de concurrence et de collaboration, d’expériences et de corrections, de prudence et de prises de risques, de confiance et de critique. Il permet d’incorporer, à la mobilisation sanitaire fédérale, la réalité institutionnelle et historique de chaque communauté cantonale, tellement plus durable que le problème particulier du coronavirus.

Notes:

1  Mme Nicole Lamon, du Matin-Dimanche, interviewée au 12h45.

2  blogs.letemps.ch/olivier-meuwly/ (16 mars).

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