Une ville n'a jamais trop de librairies
Lausanne est une jolie ville. Elle plaît par sa structure étagée qui, du parc de Sauvabelin, descend jusqu'au Lac à travers d'innombrables et complexes cheminements, par la Cathédrale qu'on aperçoit de partout, la promenade de la Ficelle et ses magnolias, le Denantou et son pavillon royal thaïlandais, la tresse que forment, vus du pont de bois, la route de Berne, le métro et la rue du Vallon… mais on s'éloigne du sujet.
Lausanne souffre, comme toute les villes européennes, de multiples ratages architecturaux, de quartiers mal famés, graffités et malodorants, de la présence obsédante des vendeurs, revendeurs et consommateurs de drogues. On le sait, passons. Elle souffre aussi de la ronde incessante des magasins, les maisons familiales se faisant absorber par des chaînes anonymes, lesquelles changent de nom et de logo au gré des changements d'actionnaires. Ces vitrines éphémères nous renvoient une image appauvrie, standardisée et déstabilisante de nous-mêmes. On doit donc une grande reconnaissance aux enseignes individuelles, traditionnelles ou nouvelles, qui continuent de personnaliser les rues lausannoises.
C'est tout particulièrement le cas des librairies, qui mettent quotidiennement à la disposition du passant les trésors de la réflexion et de la création humaines. Et justement, ce printemps, une nouvelle librairie s'est ouverte à Lausanne, Le Valentin, une arcade au début de la rue Pré-du-Marché, à deux pas de la Riponne. Elle propose des livres neufs et d'occasion. Soutenue par la paroisse catholique du Valentin, offrant aussi des icônes et des produits monastiques (eaux-de-vie, tisanes et friandises), elle est principalement orientée sur les questions religieuses et philosophiques. Mais on peut tout y commander.
Le fondateur et animateur de la nouvelle librairie, M. Denis Ramelet, est philosophe et docteur en droit, avec une thèse sur le prêt à intérêt. Ses grandes connaissances en philosophie, notamment aristotélicienne et thomiste, lui permettent de fournir des conseils pointus, voire d'engager un débat vigoureux sur le fond. Si donc vous vous sentez le désir de tordre le cou à une hérésie persistante, faites un petit tour dans cette librairie claire et accueillante.
Concurrence inutile dans une ville qui contient déjà assez de librairies de qualité pour un lectorat qui se raréfie? Nous ne le croyons pas. Chacune offre son propre style, sa propre odeur et ses propres avantages, présentation des livres, compétence et serviabilité du vendeur-conseil, efficacité du service de commande et, bien entendu, spécialisations. On pourrait même soutenir que plus nos librairies seront nombreuses et visibles, mieux elles tiendront tête à leurs trois principaux concurrents, le livre numérique, l'achat par internet et l'indifférence du monde moderne.
(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 30 octobre 2018)