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Une force sans substance

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1852 19 décembre 2008
Bonne Nouvelle, le mensuel de l’Eglise évangélique réformée du Canton de Vaud, consacre généralement sa troisième page à l’interview de personnes connues, écrivains, journalistes, entrepreneurs, artistes, explorateurs. A la question: «Quels sont vos rapports avec la religion?», il arrive souvent que l’interviewé réponde en substance: «Personnellement, j’éprouve un très fort sentiment religieux… Mes parents m’ont élevé dans la religion chrétienne. J’en ai conservé un certain souci éthique et quelques éléments culturels. Mais je crois surtout à l’idée d’une force à l’oeuvre dans l’univers. Au cours de l’histoire, les hommes lui ont sans doute donné différents noms. Mais, qu’ils l’appellent Jahvé, Dieu, Allah, Wacondah ou Vichnou, c’est toujours la même force.»

L’interviewé est convaincu tout à la fois de tenir un discours d’une haute élévation spirituelle et de démontrer son respect de l’essentiel. Il a débarrassé son sentiment religieux des scories historiques et culturelles qui le travestissaient et l’empêchaient de manifester pleinement son universalité. Il a rejeté les récits bibliques traditionnels, qu’il juge bons pour les enfants et les grands-parents, mais auxquels il reconnaît volontiers «une forte portée symbolique». Il estime avoir identifié le «religieux» dans sa pureté: enfin, pense-t-il, un Dieu avec lequel on puisse entretenir une relation adulte et rationnelle!

Ce qui donne une certaine solidité à sa position, c’est que le «religieux» semble effectivement plus universel que le christianisme tout seul, puisqu’il englobe en outre le judaïsme, l’islam, le bouddhisme, l’animisme, le culte de Baal, la mythologie grecque, les Lares et toutes les idoles imaginables d’or, de pierre ou de bois.

Mais ce gain d’universalité est trompeur. Car on a subrepticement changé de plan, passant de la religion à la philosophie. La religion proclame une réalité spirituelle incarnée, qui est universelle par abondance de présence personnelle. Avec la «force», on lui a substitué une universalité purement abstraite. C’est le «religieux» moins l’ensemble des religions existantes. On a troqué une vision contre un concept, on a remplacé Dieu par l’idée de dieu. En un mot, on perd en réalité concrète ce qu’on gagne en extension conceptuelle.

Nous ne nions pas que la raison puisse nous dire quelque chose de Dieu. Il existe une certaine connaissance naturelle du monde surnaturel. L’intelligence peut remonter de la création à son auteur. Le païen Aristote l’a magnifiquement démontré. L’application humble et prudente de la raison aux causes premières et aux fins dernières de l’homme et du monde amène le philosophe aux portes d’un mystère qui dépasse son entendement. Elle offre un marchepied à la foi.

Mais le discours naturel sur Dieu peut aussi exprimer un rabougrissement de la foi, une réduction du surnaturel au naturel. Ainsi du Grand Architecte de l’univers des francs-maçons ou de l’Etre suprême des révolutionnaires de 1789. Leurs discours ne sont pas sans pertinence: Dieu est effectivement l’être suprême et le grand architecte de l’univers. Mais ils sont aussi trompeurs en ce qu’ils se présentent non comme une approche possible du mystère divin, mais comme la clôture définitive d’un problème dépassé.

Ce nouveau dieu, universel par désincarnation, n’est pas un dieu auquel on voue adoration et reconnaissance. La «force» est un dieu aveugle qui ne s’intéresse pas à nous et auquel nous ne nous intéressons pas. Cette foi sèche, qui représente un recul considérable par rapport à la foi du charbonnier, ne nous demande aucune dévotion et ne nous propose aucune espérance. Elle n’apporte aucun réconfort, sans même parler de salut. C’est un trompe-l’oeil spirituel qui nous évite de contempler l’abîme pardessus lequel Christ nous tend la main.

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  • La Belgique unie – Jacques Perrin
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