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Le prétexte francophone

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1900 22 octobre 2010
Le treizième sommet de la Francophonie a lieu ces jours à Montreux. La Francophonie compte cinquante-six Etats membres, européens, africains, américains et asiatiques. Elle réunit notamment, sur pied d’égalité, le Congo et la Grèce, Haïti et le Canada, le Viet-Nam et l’Albanie, la France et le Ruanda, le Cambodge et la Confédération suisse, tous Etats membres à part entière.

De nombreuses manifestations accompagneront ce sommet, états généraux de la langue française, tables rondes, rencontres d’écrivains francophones de tous les coins du monde, remise de prix littéraires, séances de signatures, grand spectacle résumant quarante ans de chanson française organisé à l’auditorium Stravinsky par la Télévision suisse romande et diffusé par France Télévision, la RTBF belge, TV5 Monde, Radio Canada et TV5 Québec Canada. On trouvera encore un «Village de la Francophonie», avec des stands sous forme de chalets suisses où les divers pays francophones se présenteront, des concerts, de la danse, du théâtre, de la déclamation, des arts de rue, etc. Rien à redire à cela, au contraire.

Beaucoup de nos politiciens soutiennent cette rencontre parce que la Suisse pourra y nouer des contacts de toute nature, attirer un monde de diplomates, de décideurs et d’hommes d’affaires. On prévoit d’accueillir quelque 1400 délégués et 600 journalistes. Il y faudra 1300 employés et 5000 militaires. Si la manifestation est bien organisée, on peut gager que nous aurons la possibilité d’en organiser d’autres. M. Broulis s’est exprimé carrément dans ce sens à la télévision. Cette préoccupation économique est compréhensible et constitue la plus recevable des explications aux trente millions de francs versés par la Confédération. Mais il faut être bien conscient que la promotion de la langue française n’est ici qu’un prétexte.

Le prétexte est encore plus évident quand on prend connaissance des trois thèmes, pompeusement nommés «thématiques», qui seront développés lors de ce treizième sommet: «La Francophonie acteur des relations internationales et sa place dans la gouvernance mondiale»; «La Francophonie et le développement durable: les solidarités francophones face aux grands défis (notamment la sécurité alimentaire, le changement climatique, et la diversité biologique)»; «La langue française et l’éducation dans un monde globalisé: les défis de la diversité et de l’innovation».

On ne voit pas très bien en quoi le fait de parler français donnerait une couleur spécifique à la «gouvernance mondiale», à la sécurité alimentaire, à la diversité biologique ou au changement climatique. Même le troisième thème qui évoque la langue française promet surtout d’en faire un support pour vaticinations universalistes.

En français, les mots ont un sens. Qu’est-ce donc que la «gouvernance mondiale»? L’ONU? l’OMC? La trilatérale? Les Bilderberg? Une amicale d’élus démocratiques échappant aux pesanteurs des réalités politiques quotidiennes? On sent ici la reptation discrète de l’idéologie mondialiste.

La Francophonie est une internationale comme une autre. Elle s’ajoute aux multiples réseaux culturels, sectes lucratives, fabricants de tests Pisa, groupes de pression économiques, lobbies idéologiques plus ou moins identifiés, ONG humanitaires, qui exercent une influence en marge des Etats. Ces groupes ont en commun d’être autonomes par déracinement, ce qui leur permet de prendre des orientations sans se trouver freinés par les exigences concrètes d’un bien commun national, ni même cadrés par le respect des réalités existantes.

On peut faire l’analogie, à un niveau plus réel, avec tous les organismes qui court-circuitent les pouvoirs et les peuples cantonaux, la CDIP et la CIIP, le Forum interparlementaire romand, les concordats organiques avec leurs organes décisionnels permanents, les régions transcantonales – Arc lémanique, Espace Mittelland et autres COREB –, sans parler des fameux autant qu’obscurs «organes communs» qui prennent hors de tout contrôle des décisions fédérales définitives en matière scolaire.

Le monde en devient peu à peu illisible. Que La Nation dénonce ce bazar institutionnel, qu’elle demande un retour à la souveraineté classique, au fédéralisme et aux garanties de la démocratie directe, cela va de soi. Mais on s’étonne tout de même que les partisans de la légitimité démocratique et de la transparence politique ne dénoncent pas eux aussi la multiplication de ces pouvoirs mal définis, coûteux et incontrôlables.

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