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Le renvoi des délinquants étrangers

Jean-François Cavin
La Nation n° 1900 22 octobre 2010
L’UDC suisse, pour qui la présence étrangère dans notre pays constitue un fonds de commerce inépuisable, a fait aboutir une initiative populaire fédérale (une de plus!) sur ce thème, et ce sera l’un des objets du scrutin de fin novembre. Cette fois-ci, il s’agit du renvoi des délinquants étrangers, les «moutons noirs» stigmatisés par une affiche fameuse au moment de la récolte de signatures.

Les autorités fédérales étant opposées à cette initiative mais craignant son succès, elles ont concocté un contreprojet qui traite non seulement du renvoi des délinquants, mais aussi de l’intégration des immigrés (de manière d’ailleurs problématique comme on verra). Le citoyen aura donc trois réponses à déposer dans l’urne: oui ou non à l’initiative, oui ou non au contreprojet, et sa préférence en cas d’acceptation des deux textes.

La délinquance des étrangers et leur renvoi

On ne saurait contester que la délinquance soit plus prononcée chez les étrangers que chez les Suisses. Voici quelques chiffres tirés du Message du Conseil fédéral.

Proportion d’étrangers parmi les personnes incarcérées:

 Au totalDans les établissements pour récidivistes
198522,9%35,8%
199026,8%50,1%
199539,0%55,8%
200049,3%66,3%
200559,6%69,4%

En effectif, cela faisait, en 2005, 4'432 étrangers sur 7433 détenus (récidivistes: 416 étrangers sur 599 détenus).

Types d’infractions (2005):
Infractions contre le patrimoine: 23,2%, 1029 cas
Autres infractions au Code pénal: 12,3%, 547 cas
Infractions à la loi sur les stupéfiants: 15,7%, 698 cas
Infractions à la loi sur la circulation: 9,9%,439 cas

Provenances principales (2005):
Afrique: 37,0%, 1641 détenus
Balkans: 20,4%, 903 détenus

En 2007, environ 5000 peines privatives de liberté ont été prononcées au total (Suisses et étrangers), dont environ 1000 pour deux ans ou davantage,

Ces données doivent être interprétées sans minimiser la criminalité étrangère, mais en sachant raison garder. Rappelons d’abord que quelque deux millions d’étrangers vivent en Suisse; si la proportion des étrangers est forte en regard de la délinquance totale, le nombre absolu des délinquants reste très modeste par rapport à la population immigrée totale. Ensuite, la criminalité des étrangers n’est pas forcément due à leur origine même, mais aussi à la condition sociale: l’instabilité personnelle et le dénuement contribuent à la délinquance; or beaucoup d’immigrés sont dans une situation précaire et impécunieuse. Cela dit, la question de cette délinquance et du sort des condamnés n’est pas un fantasme.

Le renvoi constituait une peine accessoire prononcée par le juge pénal jusqu’en 2006. Depuis lors, la condamnation pénale peut être la cause d’un renvoi, mais celui-ci est prononcé selon une procédure distincte par l’autorité en charge des étrangers. Ces renvois sont effectivement prononcés, de façon plus ou moins stricte selon les cantons.

Dans le Canton de Vaud, qui suit une politique de fermeté sous la conduite de M. Philippe Leuba, les décisions de renvoi pour motifs pénaux ou pour motifs ayant une composante pénale d’étrangers ayant l’autorisation de résider en Suisse ont été d’une centaine par année depuis 2007. S’y ajoute une autre bonne centaine annuelle de décisions de renvoi concernant des délinquants sans autorisation. La renonciation au renvoi ne concerne qu’environ 20% des cas pénaux, lorsque des motifs d’humanité ou d’équité l’emportent sur le souci de répression, par exemple en cas de maladie grave qui ne serait pas soignée dans le pays de destination, ou en cas de très longue présence en Suisse avant la commission d’un délit mineur, ou en cas de situation familiale inextricable. On peut dire que le problème du renvoi qui échauffe les cervelles ne concerne au fond pas le Canton de Vaud.

L’initiative

Elle dispose que les étrangers sont privés de leur titre de séjour, indépendamment de leur statut, et de tous leurs droits à séjourner en Suisse s’ils ont été condamnés pour meurtre, viol, autre délit sexuel grave, pour un acte de violence d’une autre nature tel que le brigandage, la traite d’êtres humains, le trafic de drogue ou l’effraction, ou encore s’ils ont perçu abusivement des prestations des assurances sociales ou de l’aide sociale. Le législateur peut allonger la liste. La sanction implique l’expulsion et l’interdiction d’entrée durant 5 à 15 ans (20 ans en cas de récidive).

Ce système comporte deux défauts principaux. D’abord, un mauvais dosage. Le renvoi peut être une sanction très lourde, selon la situation personnelle, familiale et économique du délinquant. Or le renvoi s’appliquerait obligatoirement au coupable d’un crime comme à celui d’une infraction peut-être relativement légère: par exemple la vente occasionnelle d’un peu de cannabis, ou un abus de l’aide sociale commis par semi-négligence…

Secondement, dans son Message, le Conseil fédéral indique que l’initiative contredit plusieurs engagements internationaux de la Suisse (Convention européenne des droits de l’homme, Pacte de l’ONU II sur les droits civils et politiques, Convention relative aux droits de l’enfant, Accord avec l’Europe sur la libre circulation des personnes). Ce n’est pas le principe du renvoi qui est en cause, mais l’automaticité de la mesure, ces traités exigeant, pour résumer sommairement l’affaire, une pesée d’intérêts opérée de cas en cas (ce qui constitue d’ailleurs aussi un fondement du droit suisse). Par exemple, dans le cas d’un adolescent délinquant, l’autorité doit prendre en compte non seulement la préservation de l’ordre public, mais aussi la préservation de l’unité familiale; cette appréciation fait référence au principe de la proportionnalité.

Or l’initiative l’interdit. Tel délit entraîne obligatoirement le renvoi. La sanction est infligée, en quelque sorte, par un distributeur automatique. Nous ne pouvons nous rallier à cette méthode à l’emporte-pièce, terriblement brutale. C’est un peu comme si l’on déclarait que tout membre de l’UDC est un activiste sommaire et démagogue: une telle généralisation serait scandaleuse, car on sait qu’il y a plusieurs exceptions.

Le contreprojet

S’agissant du renvoi, il propose un nouvel article constitutionnel assez équilibré. Les renvois sont prévus pour tous les délits d’une certaine gravité; mais la décision d’espèce obéit au principe de la proportionnalité.

Hélas, la gauche du Parlement, allant au-delà des propositions du Conseil fédéral, a voulu paver le contreprojet de bonnes intentions en y introduisant un interminable article sur l’intégration. Celle-ci «exige de chacun (Suisse ou étranger, ndr) qu’il respecte les valeurs fondamentales inscrites dans la Constitution (…), qu’il s’efforce de mener une existence responsable et qu’il vive en accord avec la société (al.2)». Par conséquent un Vaudois ou un Glaronais de souche, mais tire-au-flanc et marginal, de surcroît critique envers les droits de l’homme, de la femme, de l’enfant et de l’animal, deviendrait lui aussi la cible d’un programme de «promotion de l’intégration (al. 3)», laquelle vise à la cohésion du peuple. La Confédération fixerait les principes de ces programmes (al.5), en contrôlerait la mise en oeuvre (al.6) et, en cas de défaillance des cantons ou des communes, édicterait les dispositions nécessaires pour que le travail soit fait (al.6).

Cet article moralisateur et centralisateur à outrance condamne irrémédiablement le contreprojet. L’intégration des immigrés doit s’opérer naturellement et dans la proximité; les cantons peuvent s’employer à la favoriser d’une main légère; l’essentiel du processus se passe au travail, à l’école, au magasin, au club sportif, voire à la pinte.

Conclusion

Même si la délinquance des étrangers est un phénomène préoccupant, le dispositif légal actuel en matière de renvoi est convenable. Il s’agit de l’appliquer avec détermination. C’est ce que fait le Canton de Vaud, ce qui suffit à nous satisfaire. L’UDC suisse, qui pourrait s’employer à raffermir les cantons laxistes si elle était fédéraliste, préfère en appeler sans nécessité au constituant fédéral pour des motifs électoralistes. Son initiative suscite un contreprojet qui, fort proche de la pratique vaudoise au chapitre du renvoi, ne nous apporterait pas grand-chose.

C’est donc de bon coeur que nous voterons deux fois non. Et la question subsidiaire? La peste ou le choléra? Choisissons l’initiative: la loi d’application et les décisions de l’autorité arrondiront peut-être les angles; tandis que le programme fédéral de normalisation des personnes et d’alignement des cantons, mené au nom des «valeurs suisses», rien n’en freinera le développement bien-pensant, pédant, bureaucratique, dispendieux et inutile.

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