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Une transparence trop hasardeuse

Cédric Cossy
La Nation n° 1900 22 octobre 2010
C’est une bien curieuse initiative qui vient d’être lancée par un comité de quinze médecins comprenant huit Romands dont trois Vaudois. Intitulée «Pour la transparence de l’assurance-maladie (halte à la confusion entre assurance de base et assurance complémentaire)», cette initiative demande l’introduction dans la Constitution fédérale d’un lapidaire art. 117 al. 3 stipulant que:

Les assureurs qui sont autorisés à pratiquer l’assurance-maladie sociale ne peuvent pas pratiquer l’assurance-maladie complémentaire.

La requête étonne d’abord par son objet: la LAMal exige aujourd’hui déjà des assureurs de «pratiquer l’assurance-maladie sociale selon le principe de la mutualité, garantir l’égalité de traitement des assurés et n’affecter qu’à des buts d’assurance-maladie sociale les ressources provenant de celle-ci» (art. 13 al. 2a). Les comptes des assureurs doivent donc déjà faire une claire distinction entre la gestion de l’assurance de base et celle des complémentaires. La même LAMal prévoit que c’est à l’autorité de surveillance des marchés financiers (FINMA) de contrôler une pratique conforme à la loi chez les assureurs. Il semble donc que les outils nécessaires à une surveillance des coûts existent déjà dans la loi, sans qu’il soit nécessaire d’en inscrire le principe dans la Constitution. Si un problème de transparence ou de distorsion existe, c’est que la FINMA ne remplit pas la mission que lui prescrit la loi, à savoir débusquer et sanctionner les assureurs qui mélangent leurs caisses.

La séparation des activités liées à l’assurance de base et à l’assurance complémentaire ne résoudrait en outre en rien l’épineux problème du contrôle des coûts de la santé. Le catalogue Tarmed ne va pas pour autant cesser de s’épaissir et inciter les médecins – y compris ceux qui pratiquent encore des tarifs inférieurs au tarif officiel – à appliquer systématiquement, à l’avenir, diagnostics, traitements et tarifs prévus par le manuel. L’initiative n’apporte donc aucun avantage aux praticiens dans leur liberté d’exercer.

Que visent donc les auteurs de l’initiative? Interrogé sur les motivations du comité, le docteur Bertrand Buchs (24 heures du 29 septembre) avoue souhaiter «enfin savoir exactement combien coûte l’assurance de base». Et une fois cette information – au demeurant connue de l’OFSP – obtenue? «Nous verrons bien ce qui se passe alors.» Ces motifs semblent bien légers pour justifier la mise en branle d’une initiative fédérale, démarche qui n’ira pas sans effets collatéraux.

Ce manque de perspective politique peut laisser supposer que le lancement de l’initiative – à la veille de l’annonce des hausses de primes – est un coup de pub ponctuel destiné à montrer que les médecins sont vigilants, qu’ils sont plutôt du côté des patients, contre les assurances et contre l’officialité, soupçonnée de ne pas faire correctement son travail de contrôle. Faisons remarquer dans ce cas au comité d’initiative que l’emploi des outils de la démocratie directe à titre publicitaire en affaiblit durablement la légitimité (voir l’édito de La Nation N° 1897 du 10 septembre dernier).

Mais on peut supposer que la démarche est sérieuse et que la récolte des signatures aboutira. Dans le meilleur des cas, les assureurs auront adapté leurs structures comptables avant même que l’objet ne soit soumis à votation: ils auront tous créé une ou plusieurs caisses affiliées (ce principe permet aujourd’hui déjà d’attirer les assurés à bas risques à prix attractifs), mais continueront de proposer, sous deux raisons sociales, des combinaisons d’assurances de base et complémentaires à leur clientèle. Il n’y a donc aucun progrès à attendre en termes de maîtrise des coûts de la santé.

Mais dans le pire des cas, l’administration fédérale préparera un contre-projet de caisse unique, dont la comptabilité également unique permettra au docteur Buchs de voir en toute transparence les coûts exacts de l’assurance de base. M. Buchs sera alors bien avancé: il devra se battre contre les tracasseries croissantes d’une institution centralisée, dont le souci premier sera d’imposer aux praticiens des traitements standardisés et tarifés jusque dans leurs derniers détails. L’assuré paiera peut-être un peu moins, mais le contribuable qu’il est aussi verra avec effroi se creuser le trou d’une «sécu» à la sauce helvétique.

Les effets secondaires de l’initiative «Pour la transparence de l’assurance-maladie» nous semblent plus néfastes que les maux qu’elle prétend guérir. Nous ne la signerons pas.

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