Vers une conception globale de la prévention
Le texte, en l’état actuel des débats, attribue au Conseil fédéral la compétence de fixer, tous les huit ans avec la participation des cantons, des objectifs nationaux en matière de prévention. C’est aussi le Conseil fédéral qui, tous les quatre ans, établit la stratégie définissant les lignes d’action dans ce domaine. Pour l’application, le principe de subsidiarité est évoqué et les cantons sont appelés à veiller à la réalisation des mesures de prévention et de promotion. Ils doivent proposer une «offre adaptée à chaque groupe cible». Les élèves, notamment, doivent avoir accès à des services de santé scolaire et voir leur «culture sanitaire» s’améliorer. La fondation Promotion santé suisse reçoit le mandat de coordonner et d’évaluer l’entier des actions de prévention sur sol suisse, notamment pour en améliorer l’efficacité et garantir le respect de la stratégie fédérale quadriennale. Elle gère la documentation sanitaire et harmonise les dispositifs de collecte de données. Elle dispose des 18,8 millions prélevés sur l’assurance de base (2,40 francs par an et par assuré) pour ces activités de coordination et pour ses propres campagnes de prévention.
Le marché de la prévention en matière de santé ne se limite pas à ces quelques maigres millions. En additionnant tous les montants investis par les collectivités ou les acteurs privés (lutte contre les dépendances, contre les maladies infectieuses, contre les maladies professionnelles, contre les accidents du travail et de la route, médecine scolaire et contrôles dentaires, contrôle des denrées alimentaire, etc.), près de 1,5 milliard par an est dépensé en suisse en efforts de prévention de toute nature. Le budget propre de la fondation Promotion santé suisse n’est donc qu’une goutte d’eau. Pourtant, c’est l’organisme qui sera légalement chargé par la LPrév de définir et de contrôler les actions de tous les acteurs de la santé en matière de prévention. on peut d’ores et déjà prévoir deux conséquences à cette politique de la prévention. La première sera un gonflement administratif de la fondation, qui ne tardera pas à exiger une hausse du prélèvement sur l’assurance de base pour remplir sa mission. La seconde sera l’explosion des coûts de la prévention pour satisfaire aux exigences, certes dégoulinantes de bonnes intentions mais coûteuses, que la fondation imposera aux tiers en charge de la prévention.
Lors des débats, les parlementaires de droite ont à juste titre tenté de souligner la tournure totalitaire que pourrait prendre l’application de la loi: la promotion obligatoire de la capote et le test HIV en fin de scolarité feront-ils partie de la «culture sanitaire» imposée aux écoliers? Comment va-ton définir et gérer les «groupes cibles» en matière de prévention? Va-t-on rétablir le port obligatoire de la crécelle pour les personnes atteintes de maladies transmissibles incurables? Que la loi précise que son application tiendra compte «du droit à l’autodétermination individuelle et de la diversité culturelle» ne nous rassure pas: en matière de diversité culturelle, on peut au mieux s’attendre au remplacement de Franky Slow Down, l’ange musicien poilu post-baba du BPA, par Stress ou un de ses avatars scandant un moralisme pseudo-rebelle.1
Mais le plus grand défaut du projet reste son caractère antifédéraliste: la loi permettra à la Confédération de dicter sa politique de prévention sanitaire aux cantons, ce qui, implicitement, laisse douter de la qualité des mesures cantonales existantes. L’article 188 de la Constitution, évoqué comme base de la nouvelle loi, ne justifie pas un grignotage des compétences cantonales en matière d’éducation pour imposer une «culture sanitaire» centralisée. Les patrons, enfin, qui consentent à de grands efforts pour assurer la santé de leurs travailleurs par des mesures ciblées, se verront imposer des programmes de prévention indistincts, coûteux et mal adaptés à leur branche.
Il reste à espérer que les conseillers aux Etats refuseront l’entrée en matière et renverront le projet de LPrév à ses auteurs.
NOTES:
1 On peut même en douter en consultant www.mx3.ch/artist/signandopposite: la présentation de Da Sign & The Opposite, le groupe accompagnant Franky Slow Down, précise que: «d’une certaine manière, nos musiciens forment un groupe d’employés bénévoles au service de la santé publique.» Et le groupe fait montre d’un bel opportunisme avec son dernier titre: Body Building vante les bienfaits de l’exercice physique.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Retour du balancier? – Editorial, Olivier Delacrétaz
- Conseils communaux à la proportionnelle: NON au diktat du Grand Conseil – Félicien Monnier
- Le parti des sans-parti – Revue de presse, Ernest Jomini
- Le doute s’insinue («sortir du nucléaire») – Revue de presse, Philippe Ramelet
- Fribourg au Vatican – Revue de presse, Ernest Jomini
- Pierre Viret, acteur et témoin de l’Histoire – Daniel Bovet
- Qu’est-ce que le libéralisme? – Jacques Perrin
- Après la suppression des filières, le cycle unique – Olivier Delacrétaz
- Le Temps de Franco – Jean-Blaise Rochat
- Vive le Roi! – Revue de presse, Ernest Jomini
- Mémoire et lucidité helvétiques – Revue de presse, Ernest Jomini
- Le bio tue, le nucléaire vivifie - Systèmes politiques comparés de la Confédération suisse et de la République de Biélorussie – Le Coin du Ronchon