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Les bornes de la félicité (Les Marches du Pays)

Jacques Perrin
La Nation n° 1928 18 novembre 2011
Bien des philosophes préconisent à leurs disciples de réfléchir en marchant. Marcher donne, semble-t-il, un tour plus réaliste à la pensée. Nous échappons pour un temps non au virtuel et au fictif, car les informations distillées par les médias recouvrent des réalités d’une certaine espèce, mais à l’inquiétante disproportion entre notre petite existence et l’énormité des événements planétaires que relatent les journaux, internet ou la télévision.

Nous nous rapprochons des choses, et aussi des personnes, de celles qui nous accompagnent ou que nous rencontrons lors de nos déambulations. Plusieurs excursions et voyages récents ont permis au marcheur soussigné d’accumuler quelques réflexions.

Commençons par la dixième Marche du Pays.

Cette année, nous avons parcouru les crêtes du Jura, de Trois Villes, près de Sainte-Croix, jusqu’au Day.

Les Marches du Pays commencent toujours avant que nous empruntions les sentiers campagnards. Il faut quitter son domicile de bon matin, patienter un moment à la gare de Lausanne et observer les diverses ethnies qui la peuplent. Rien de tel que les voyages en train pour constater combien la composition de la population se modifie et admettre que notre environnement est désormais marqué par ce que les gens bien en cour appellent la «diversité».

Des pentes boisées du Mont de Baulmes, quelques trouées permettent au regard de plonger dans la mer de brouillard où croupit la publicité électorale du moment. Nous y laissons sans remords Isabelle Clochette et Fahti le Ténébreux à leur «amour de la Suisse».

Nous prenons de la hauteur à tous égards. Ce premier jour d’octobre est plutôt doux, la forêt encore verdoyante est parsemée de taches de lumière. L’été, qui a commencé en avril et nous a oubliés en juillet, s’achève à peine. Nous croisons des pique-niqueurs en balade. Il semble que ces lieux paisibles soient fréquentés par des familles encore unies, avec grands-parents et enfants. Quelques participants visitent la grotte appelée la Cave Noire, puis nous parvenons au faîte des Aiguilles de Baulmes d’où la clarté régnante nous permet d’apercevoir la plupart des sommets jurassiens, notamment le Chasseral à l’Est et la Dôle à l’Ouest.

La descente du col de l’Aiguillon une fois bouclée, nous marchons dans les prés jusqu’à l’alpage de Grange Neuve où un aimable aubergiste nous sert des croûtes au fromage d’anthologie. Nous reprenons ensuite notre randonnée: Chalet de Noirvaux, La Sagne, la Poyette, la route du Petit Bel Coster.

Nous avons longé la frontière franco-suisse et découvert, au terme d’une sorte de jeu de piste, d’imposantes bornes, parfois fort anciennes, marquées d’un côté de l’écusson vaudois et de l’autre de la fleur de lys. L’histoire nous rattrape. Bornes, toblerones et blockhaus témoignent de la volonté de défense de nos ancêtres, désireux de délimiter et de protéger notre sol. Aucun obus n’a jamais défoncé ces prés, aucune mitraille n’a jamais lacéré les sapins. Ces paysages sereins, ces pentes douces, ces riches pâturages, épargnés par les ravages des guerres et des révolutions, nous les leur devons en partie. Saurons-nous les conserver? Oserons-nous, comme eux, nous revendiquer responsables de cette terre?

La lumière automnale nous inspire de la nostalgie. Tout à l’heure, observant le dos d’un compagnon face à la mer de brouillard, nous nous sommes crus soudain dans un tableau de Caspar David Friedrich. Mais trêve de romantisme! Revenons à la marche au crépuscule! Nous atteignons bientôt Ballaigues. Nous empruntons ensuite une route à lacets jusqu’aux gorges de l’Orbe, nous traversons la rivière, nous remontons brusquement et arrivons à la gare du Day. Au passage, les militaires du groupe vibrent en apercevant de loin les installations où ils se sont exercés, naguère, au combat de localité.

Après huit heures de marche effective et quelques pauses où notre guide a pu nous faire profiter de sa science historique, nous sommes au but. La nuit est tombée, il faut reprendre le train en direction de Lausanne et nous séparer.

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