Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Un petit garçon si mignon

Alexandre Bonnard
La Nation n° 1928 18 novembre 2011
Pendant deux ou trois semaines, j’ai pu contempler de ma fenêtre, contre le mur de la route, une grande affiche allongée (est-ce ce que l’on appelle le format mondial?) représentant un très mignon petit garçon, d’une dizaine d’années au plus, très bien habillé, très bien chaussé, mais au regard mélancolique à vous serrer le coeur, debout à gauche sur un rocher plat, pied gauche en avant, au premier plan d’un paysage désolé, de neige ou de brouillard on ne sait au juste, avec au fond le triste découpage de noires montagnes. Au centre de l’affiche un slogan:

Ma Suisse - Ma famille - Notre avenir

A première vue, je me suis demandé si cette affiche, bouleversante de profondeur et d’intensité, constituait une propagande électorale ou émanait par exemple de Pro Familia ou de Pro Juventute (réclamant des sous à la suite d’une réduction de subventions). Ensuite, avant de m’approcher ou de prendre mes jumelles, je me suis demandé, à supposer que ce fût un parti politique: lequel? La Suisse étant mentionnée en tête, j’ai pensé tout d’abord à l’UDC. C’est en effet à elle qu’appartient la Suisse; et les bons deux-tiers des électeurs qui n’ont pas voté pour elle continueront à vivre dans l’illusion qu’ils sont des Suisses. Quant à l’avenir, mais radieux, c’est aussi à l’UDC qu’il appartient et si le petit garçon est tellement triste, c’est parce qu’il doit attendre encore quatre ans pour voter UDC, vu qu’alors seulement aura disparu la scandaleuse discrimination dont sont victimes les ados et que le droit leur aura enfin été reconnu de voter dès quatorze ans, sur le plan fédéral, cantonal, communal (même à treize ans pour les filles, réputées mûres plus tôt).

Mais à deux pas s’étalait l’affiche UDC où les pas noirs de personnes bien chaussées s’avancent vers nous sans que l’on puisse discerner leur origine. Tout au plus doit-on constater que leurs souliers sont bien propres puisqu’ils ont marché sur le drapeau suisse sans le salir. Quant au slogan jaune «ça suffit» collé en travers, j’ignore toujours s’il visait les immigrés aux pantalons noirs ou s’il était une affichette collée en douce et de nuit par une équipe de gauchistes, voulant dire: «UDC ça suffit.»

Alors, une fois éliminés les partis n’ayant, apparemment, pas placé la famille en tête de leurs préoccupations, que reste-t-il? Le PLR… le PDC? C’est permutable, seule la hiérarchie des préoccupations pouvant faire débat. Je m’approche encore: c’est le PDC.

Et voilà! je penchais lâchement vers la liste neutre, peinant à trouver neuf noms à doubler. Mais ce petit garçon parfait, sans doute fils parfait de militants PDC, quel coup de génie! Le slogan, sans doute trouvé par un cabinet de consultant de haut niveau et bien payé, quelle dynamique! C’est tout vu, je prends la liste PDC les yeux fermés (en veillant à ne pas me tromper).

Pour des raisons sans doute financières, l’affiche a disparu avant les élections, remplacée par l’affiche d’un grand distributeur où l’on voit des gens se promener sur une plage avec des caddies. Mais elle a fait son effet. Peut-être a-t-elle même bouleversé quelques UDC.

Plus récemment, on pouvait voir à Lausanne une vieille Rom, nous tendant sa sébille en carton, accroupie contre un long panneau où s’alignaient confraternellement, et sans doute à frais partagés, les têtes généralement hilares (mais Pierre-Yves Maillard conserve son austérité jacobine) et panachées des candidats et candidates. Sous quelle tête notre Rom avait-elle choisi de s’accroupir? Peu importe. Mais toutes ces personnes, bien qu’on ne le voie pas, tendaient vers nous une urne déjà à moitié remplie par la poussière des promesses faites quatre ans plus tôt.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: