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Un révulsif constitutionnel?

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1984 10 janvier 2014

L’initiative contre l’immigration de masse sur laquelle nous voterons le 9 février est la plus ambitieuse et la plus explosive jamais lancée par l’UDC1. Elle ne propose rien de moins qu’une mise en cause radicale de la politique étrangère fédérale des vingt dernières années. Ses adversaires en sont conscients. Le lendemain même des votations de novembre dernier, ils placardaient dans toute la Suisse une triple affiche recommandant le rejet.

L’affiche reprenait le thème du pommier qui avait emporté l’adhésion populaire lors du vote de 2009 sur l’accord de libre circulation et sur son extension à la Roumanie et à la Bulgarie. Le slogan annonce une perspective résolument économique: «Les bilatérales. Notre prospérité.»

L’UDC répondait trois semaines plus tard dans un format et un style identiques, montrant les racines énormes du pommier de la prospérité en train de disloquer le territoire fédéral. Le slogan: «La démesure nuit à la Suisse.»

Il s’agit à nouveau d’une de ces initiatives qui expriment un principe juste d’une manière discutable. Ce principe, c’est que nous devons être les maîtres de notre politique étrangère et la conduire en fonction des intérêts de la Suisse. Les autres Etats n’en font-ils pas autant?

Or, nous ne sommes plus les maîtres, ligotés par des accords qui ouvrent nos frontières à un afflux ininterrompu d’étrangers. L’accord sur la libre circulation entraîne l’arrivée annuelle de 80000 ressortissants européens – le Conseil fédéral en annonçait 8000. Schengen et Dublin ont ouvert la porte à une criminalité violente en provenance des Etats voisins. La Convention de non-refoulement2, qui ne cesse de prendre de l’importance, nous a empêché plus d’une fois d’exécuter la décision de renvoi d’un requérant débouté.

En 2012, selon les chiffres officiels, nous hébergions 23,3% d’étrangers, sans parler des sans-papiers, qui seraient entre 90000 et 300000. En 2013, les chiffres ont encore augmenté. Pour absorber ce flux, il faut construire partout. Les trains sont bondés et les routes saturées, les loyers et les prix montent, les salaires subissent une pression vers le bas. Cette démographie galopante entraîne une criminalité plus galopante encore.

L’UDC présente son initiative comme une dernière chance pour la Suisse: la Confédération court au naufrage, il nous faut un coup de barre brutal et salvateur, freiner la machine de la prospérité, fût-ce au risque de la casser.

Elle propose de limiter le nombre global des étrangers, toutes catégories confondues, au moyen d’un plafonnement général et de contingents selon le type d’autorisation.

Le nombre des travailleurs étrangers, y compris les frontaliers, sera fixé en fonction des besoins de l’économie suisse, les travailleurs suisses conservant toutefois la priorité. Il faudra, pour entrer chez nous être au bénéfice d’un contrat de travail, avoir fait la preuve de ses capacités et de sa volonté de s’assimiler et disposer d’une autonomie financière suffisante pour ne pas tomber à la charge des assurances sociales. Ayant quitté ou perdu son travail, le travailleur étranger devra repartir.

Les accords internationaux contraires à l’initiative seront renégociés et adaptés dans un délai de trois ans.

Dans son Message3, le Conseil fédéral reconnaît que l’immigration pose des problèmes dans les domaines du logement, des infrastructures, de l’aménagement du territoire et de l’instruction. Mais il n’aborde ceux-ci que d’un point de vue technique et administratif. Son discours optimiste néglige les effets d’une immigration pléthorique sur nos mœurs et nos usages, sur nos relations de travail, sur le sentiment profond d’une communauté d’accueil qui devient une communauté parmi les autres. Il ne voit pas que la présence de nombreux congénères efface chez l’étranger le désir de s’assimiler.

La prospérité est un puissant analgésique et camoufle notre dégradation culturelle. Mais que se passera-t-il lors de la prochaine crise? C’est avant que notre politique étrangère doit changer. L’initiative se réfère justement au principe immuable de la souveraineté étatique. Le met-elle en œuvre d’une façon satisfaisante?

Premièrement, nous croyons que la politique d’asile doit être rigoureusement distincte de la politique migratoire. Et l’octroi du statut de requérant doit redevenir une décision souveraine prise à bien plaire et de cas en cas. En l’intégrant à la politique d’immigration, on va en sens inverse du souhaitable.

Il importe aussi de différencier les immigrés selon leur provenance. Tous les peuples ne présentent pas le même degré de proximité avec notre civilisation, ni par conséquent la même capacité d’assimilation.

En général, l’UDC est sensible à cet aspect des choses. Mais elle veut acculer les autorités à changer de cap. Si elle incorpore le droit d’asile à l’immigration, elle le dit elle-même, c’est pour empêcher le Conseil fédéral d’y recourir abusivement dans le but de contourner les plafonnements. On voit bien l’idée, mais peut-on négliger durablement un principe pour des motifs tactiques?

Le second problème est celui des contingents. Cet expédient rudimentaire est imaginable en matière d’asile tel qu’on le pratique aujourd’hui. Le nombre de personnes dans le monde qui pourraient prétendre obtenir le statut de réfugié dépasse infiniment nos capacités d’accueil. Un contingent établi a priori en fonction de nos possibilités ne serait pas absurde, ni scandaleux.

En revanche, contingenter la main-d'œuvre étrangère en fonction des trois critères posés par l’alinéa 3, et peut-être d’autres, exigerait la mise sur pied d’une machinerie administrative spécifique, chargée d’examiner chaque demande. Elle déciderait des autorisations et des attributions en fonction de critères économiques, culturels et sociaux immaîtrisables, avec l’arbitraire, la routine et les blocages d’une bureaucratie ordinaire.

Pour limiter les dégâts, l’initiative aurait au moins dû disposer que les besoins «suisses» seraient établis par les Etats cantonaux. Ce n’est pas le cas et la répartition des contingents sera organisée sur le plan fédéral. Les entreprises des cantons romands ont tout lieu de craindre que cette répartition soit du même type que les adjudications des commandes fédérales: tout à la Suisse allemande, le reste aux cantons latins.

Enfin, l’initiative exige du gouvernement qu’il affronte les Etats européens sur des questions délicates en ce qu’elles mettent en jeu le principe d’égalité. Il y faudrait un courage, une intelligence politique et une persévérance de tous les instants. C’est dire, les choses et les personnes étant ce qu’elles sont, que l’initiative charge les autorités fédérales d’une mission impossible.

Il faut renégocier la liberté de circulation, disent les dispositions transitoires. Et si le Conseil fédéral négocie mal? Ou si l’Union européenne n’en veut rien savoir? Faudra-t-il forcer le gouvernement à négocier mieux en lançant une initiative d’appui, une «initiative de mise en œuvre», comme on l’a fait avec l’initiative «pour le renvoi effectif des étrangers criminels»?

Le Conseil fédéral insiste sur le fait que contingenter les travailleurs en provenance de l’Union est incompatible avec l’accord de libre circulation, considérée en Europe comme une «liberté fondamentale». Il doute – donc il part perdant – pouvoir renégocier cet accord à notre avantage et juge, tant la liberté de circulation est centrale dans les conceptions de l’Union européenne, que sa dénonciation rendra nécessairement caducs les autres accords bilatéraux. C’est la fameuse «clause guillotine»: tout ou rien.

Au fond, tant que les autorités fédérales admettront que dans certains cas, d’ailleurs toujours plus nombreux, le droit international prime le droit suisse, elles trouveront une manière de se tirer des pattes. C’est la faiblesse intrinsèque de l’initiative.

Nos lecteurs le savent, nous sommes prêts à nous engager sur l’initiative que prépare l’UDC concernant la primauté du droit suisse sur le droit international.

Mais pour le moment, avec l’interprétation «souple» déjà promise par le Message, avec la libre circulation, même renégociée, et avec la Convention de non-refoulement, il ne restera pas grand-chose du bénéfice espéré de l’opération.

L’initiative nous apparaît excessivement bureaucratique quant à ses moyens. Ses conséquences économiques sont incertaines, mais tout de même inquiétantes. Enfin, et surtout, son succès repose paradoxalement sur les épaules de ceux contre qui ses auteurs l’ont lancée. Nous ne pouvons la soutenir. Comme beaucoup de nos lecteurs, nous éprouvons une furieuse envie de voter en sa faveur pour administrer un révulsif à nos autorités, pour symboliser la nécessité de changer de politique ou, simplement, pour nous faire du bien en tapant sur la table. Mais la Constitution n’est pas faite pour cela.

Notes:

1 www.immmigration-massive.ch

2 «Non-refoulement» ne signifie pas seulement que personne ne peut être renvoyé dans un pays dans lequel sa vie ou sa liberté est menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social déterminé ou en raison de ses convictions politiques, mais aussi qu’une personne, qui exprime cette crainte, doit se voir accorder le droit d’entrée. Le principe du Non- Refoulement fait partie du droit international public coutumier et lie de cette manière l’ensemble des Etats. Pour cette raison, aucun Etat n’a le droit d’expulser ou de refouler une personne dans de telles circonstances. (site du HCR: www.unhcr.ch/home.html?L=1).

3 www.admin.ch/opc/fr/federal-gazette/2013/ 279.pdf 

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