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Globale, transparente, raisonnable…

Cédric Cossy
La Nation n° 1984 10 janvier 2014

Dans Le Temps du 10 décembre, le conseiller fédéral Alain Berset expose ses ambitions concernant la réforme Prévoyance vieillesse 2020. L’entrée en matière décrit de manière lucide les problèmes auxquels vont être confrontés l’AVS et le deuxième pilier:

[…] même si les salaires et la productivité se développent comme ces années passées, l’équilibre financier de l’AVS ne pourra être maintenu sans réformes au cours de la prochaine décennie.

Concernant l’espérance de vie, la prévoyance professionnelle est confrontée au même problème que l’AVS. Bon nombre d’institutions de prévoyance ne sont plus en mesure, et ce depuis quelques années maintenant, de financer le taux de conversion de 6,8% prescrit par la loi. Avec le risque de menacer la stabilité du deuxième pilier et d’entraîner des redistributions indésirables.

M. Berset analyse ensuite les tentatives avortées de réviser l’AVS ou de réduire le taux de conversion. Trois raisons ont, selon lui, conduit à cet échec:

Premièrement, on a voulu consolider financièrement la prévoyance vieillesse en corrigeant les prestations. Deuxièmement, les réformes proposées étaient sectorielles, de sorte qu’il manquait une vue d’ensemble. Enfin […] ce sont les exigences et la mécanique des assurances qui étaient au cœur des réflexions, et non les besoins des assurés.

Nous reviendrons plus loin sur la question de la «correction» – il faut comprendre réduction – des prestations. Mais à qui la «vue d’ensemble» manquait- elle? Aux socialistes, M. Berset en tête, qui ont défendu en 2012 le maintien du taux de conversion légal à 6,8%? Et si «la mécanique des assurances» a animé les réflexions des institutions de prévoyance professionnelle, c’est simplement pour respecter les termes de la loi sur la prévoyance professionnelle LPP. Enfin, l’inaliénable «besoin des assurés», avatar d’un marxisme primaire, nous paraît être une vue tout autant «sectorielle» et négociable que les travers dénoncés par M. Berset.

La seconde partie de l’article qualifie aisément le conseiller fédéral pour le prochain championnat suisse de langue de bois. Il y appelle de ses vœux LA réforme «globale, transparente, raisonnable, à la suisse», longuement négociée et expliquée, qui sauvera notre système de retraites. M. Berset ne donne naturellement aucun élément concret de solution, mais réitère ses promesses explicitement socialistes:

[…] Il faut que les assurés aient la certitude qu’ils pourront conserver, dans une mesure appropriée, leur niveau de vie actuel. Ce droit constitutionnel est pourtant déjà tangent aujourd’hui. Toute baisse des rentes est exclue, et le niveau actuel des prestations doit être maintenu. […]

Le «droit constitutionnel» invoqué par M. Berset est particulièrement filandreux1. Que signifie «maintenir de manière appropriée son niveau de vie antérieur (et non “actuel”, réd.)»? Comment définit- on la notion de niveau de vie? Quel est ce niveau «antérieur»? Celui du quadragénaire avec une nombreuse famille à charge et une grosse hypothèque? Celui du sexagénaire proche de la retraite, au faîte de sa courbe salariale, mais libéré de toutes charges familiales et hypothécaires? Cet alinéa condamne-t-il les pauvres à rester pauvres, et assure-t-il les riches de garder leur train de vie? Comment maintenir ce «niveau de vie» si l’inflation se met à galoper comme chez certains voisins européens?

Rappelons aussi à M. Berset que les rentes fixées lors du départ en retraite sont déjà protégées de toute baisse par la LPP. Et c’est précisément cette garantie qui pose problème: forts d’une belle espérance de vie, les personnes parties en retraite en 2013 avec un taux de conversion légal de 6,8% vont bénéficier de rentes dont le cumul dépassera de 15 à 20% leur capital retraite, tous intérêts compris. La part manquante devra être payée d’ici dix à quinze ans, paritairement par l’ex-employeur et par les assurés actifs. Les «redistributions indésirables» que craint M. Berset sont déjà une réalité: le capital des retraités est crédité en moyenne suisse de plus de 3% d’intérêts techniques, alors que la LPP garantit 1,75% aux assurés actifs, taux qui peut même être réduit à titre de mesure d’assainissement.

Les promesses faites par M. Berset aux retraités et à ceux qui le seront bientôt sont compréhensibles: cette tranche d’âge regroupe la moitié des votants actifs – tendance en hausse – et se doit donc d’être choyée. Mais M. Berset se garde bien de dire à ces potentiels électeurs comment il compte servir les mêmes rentes à une population de retraités en croissance. Pour distribuer plus, il faudra encaisser plus, en imposant des augmentations touchant l’âge de la retraite (ce dont les femmes ne veulent pas), les cotisations de retraite (ce dont les actifs et l’économie ne veulent pas) ou la TVA (ce dont personne ne veut).

Equilibrer le «niveau de vie» à la baisse chez les actifs et les retraités, mécontenter tout le monde; c’est peut-être le compromis «à la suisse» dont rêve M. Berset.

 

Notes:

1 Art. 113 al 2.a Cst féd: La prévoyance professionnelle conjuguée avec l’assurance vieillesse, survivants et invalidité permet à l’assuré de maintenir de manière appropriée son niveau de vie antérieur.

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