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Terrorisme, état des lieux idéologiques

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2032 27 novembre 2015

Les événements de Paris ont mis l’officialité sens dessus dessous. Il y a deux semaines encore, l’angélisme était la règle. Les effectifs des policiers ne cessaient de diminuer, les petites condamnations pénales n’étaient plus exécutées, l’armée était progressivement éradiquée, les casernes désaffectées, les terrains d’exercice rendus à l’agriculture. La frontière n’était plus qu’une ligne arbitraire sur le sol, sans épaisseur ni raison d’être.

Et voici qu’à des majorités staliniennes, les parlementaires ont rétabli les contrôles aux frontières. Ils ont décrété l’état d’urgence pour les trois prochains mois. Ils vont augmenter de plusieurs milliers le nombre des policiers, lesquels seront armés en permanence.

On entend des politiciens de toutes tendances exiger d’autres mesures de sécurité: emprisonnement préventif des personnes dangereuses, baguage électronique des suspects, rétablissement du service militaire obligatoire, renvoi dans leur pays d’origine des imams «radicaux». Un discours qu’il y a deux semaines encore, le Front national osait à peine tenir.

L’Assemblée aurait pu décider de garnir tous les numéros de toutes les rues de France de caméras de surveillance, décréter un couvre-feu général, des écoutes téléphoniques universelles et la peine de mort pour les terroristes. Toute réserve au nom de la liberté individuelle eût été considérée comme une insulte aux morts, comme une preuve d’irresponsabilité, voire comme une trahison nationale. Les cinq ou six opposants lors du vote de l’Assemblée nationale ont vraiment fait preuve de beaucoup de courage.

L’émotion collective amène des gens raisonnables à dire: «On réfléchira plus tard, pour l’heure, agissons!» Dans cet esprit, ils acceptent, sans poser la question de l’efficacité ou des retombées secondaires, des lois et des ordonnances liberticides, la création de services d’Etat dotés de pouvoirs discrétionnaires et, ce qui va avec, de nouveaux prélèvements fiscaux. On parle de mesures «provisoires», mais il n’est pas d’exemple qu’un Etat ait aboli un impôt ou qu’une administration ait admis la perte d’une compétence. Le calme revenu, les impôts, les lois et la bureaucratie resteront «provisoires» mais seront prorogés indéfiniment: on ne sait jamais.

Le héros populaire, aujourd’hui, c’est l’agent de la force publique, à la fois policier et militaire, qui incarne la sécurité armée en déambulant dans les rues des grandes villes françaises. Il paraît que les demandes d’incorporation militaire ont augmenté dans des proportions jamais vues. Quand le président Chirac a supprimé le service militaire obligatoire, certains ont remarqué qu’il cassait le seul lien existant entre la population déracinée des «banlieues» et la France. Il n’est pas impossible qu’un certain nombre de jeunes prêts à embrasser la cause du djihad aient découvert au dernier moment, grâce aux attentats, qu’ils pouvaient servir une cause plus noble, et pas moins romantique: rejoindre l’armée française et lutter contre l’Etat islamique.

Doit-on parler d’un retour à l’ordre? Il est certain que les fauteurs de troubles de tout genre ont du souci à se faire ces prochains mois. Mais l’ordre, si nécessaire soit-il, n’est pas un but en soi. Il n'est que la condition première de la vie en société et de l’exercice des libertés.

L’ordre dans les rues, en particulier, n’est durablement possible que s’il est l’expression extérieure d’un ordre intérieur aux personnes et à la communauté nationale. Cet ordre intérieur, on peine à le discerner. On a engagé la population à continuer de fréquenter les bistrots et d’y faire la fête, pour montrer – insignifiante forfanterie! – qu’on n’avait «même pas peur». Du vin, des jeux et de la sécurité, des pancartes larmoyantes et des bougies, tout cela ne fonde pas un ordre qui structure la communauté nationale dans son fond et lui donne la force de résister à cette étrange guerre.

Trop souvent, les religieux, philosophes et politiciens, qui pourraient contribuer à restaurer cet ordre interne, réduisent leur message à des prêches agressivement sentencieux sur les «valeurs». On ne fait désormais plus que de la morale. Dans n’importe quel domaine, il ne s’agit plus que de discerner les bons et les méchants. On sait pourtant d’expérience que les formules abstraites de la morale, qu’elle soit traditionnelle ou fondée sur la déclaration des droits de l’homme, ne sont guère efficaces. Elles peuvent l’être un peu si elles émanent de personnes de confiance. La confiance, c’est bien la question.

Il faudrait aussi retrouver un certain ordre dans l’exercice de l’intelligence, de façon à discerner objectivement les causes profondes du mal. Ce pourrait être l’occasion pour les autorités politiques de se pencher sur elles-mêmes et de juger leurs attitudes et leurs décisions à la lumière de leurs résultats. Or, ces autorités, les actuelles et les précédentes, ne remettent en cause ni leur rejet de la souveraineté et de ses frontières protectrices, ni leurs croisades aventureuses en Afrique et au Moyen Orient, ni leur politique migratoire glissant à vau-l’eau, ni la communautarisation croissante des grandes villes, ni la désertification des campagnes, ni l’évolution délirante que ses ministres successifs ont donnée à l’Education nationale, ni la perte des liens sociaux atomisés par l’individualisme ou broyés par le collectivisme, ni, enfin, l’abandon du terrain religieux par les responsables de l’Eglise. Il y a pourtant, dans cette débâcle, mille motifs de désespoir et de radicalisation idéologique.

L’ordre dans les rues, les restaurants et les cinémas est sans doute premier, mais ne saurait à lui seul remédier à tout cela.

Quand au fond idéologique, il subsiste. Les mondialistes de droite et de gauche n’ont pas changé d’avis à cause de l’actualité. Ils l’interprètent non comme une démonstration de leurs erreurs, mais comme les ultimes soubresauts de l’époque agonisante des Etats-nations. La marche du progrès est provisoirement freinée, mais la direction reste la même.

On peut même craindre que la lutte contre le terrorisme ne soit pour eux l’occasion de radicaliser l’idéologie mondialiste en faisant pression pour l’unification (ils diront «collaboration») des services de renseignements, pour une gouvernance internationale (ils diront «coordination») des actions policières et, finalement, pour la mise sur pied d’une armée mondiale (ils diront «les forces du monde libre») censée éradiquer le terrorisme.

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