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Financer la dépendance énergétique de la Suisse?

Cédric Cossy
La Nation n° 2034 25 décembre 2015

En guise de cadeau d’adieu de Mme Widmer-Schlumpf, le Conseil fédéral a publié au début novembre son Message concernant un système incitatif en matière climatique et énergétique1. Le condensé nous en décrit les principes:

Dans le cadre de la politique climatique et énergétique, la transition d’un système d’encouragement fondé sur les subventions vers un système d’incitation fondé sur la fiscalité doit être opérée rigoureusement à partir de 2021. Le Conseil fédéral propose d’inscrire dans la Constitution cette décision de principe afin de conférer à celle-ci la nécessaire légitimité démocratique. La législation concernant le climat et l’énergie précisera dans un second temps les modalités du système d’incitation. Reposant sur des taxes et sur leur effet incitatif, ce système permettra d’atteindre les objectifs climatiques et énergétiques de manière plus efficace et plus avantageuse qu’avec des mesures d’encouragement basées sur des subventions et des dispositions réglementaires.

Le projet de nouvel article constitutionnel 131a prévoit l’introduction d’une taxe climatique et d’une taxe sur l’électricité. Ces deux taxes doivent inciter les consommateurs d’énergie à réduire leur consommation. La première s’applique aux combustibles et carburants fossiles et est censée permettre une réduction à un niveau correspondant aux engagements internationaux de la Suisse sur ses émissions de CO2. La seconde s’applique à l’énergie électrique et son effet incitatif doit être assez fort pour permettre à Mme Leuthard d’éteindre définitivement les centrales nucléaires. Ces deux nouvelles taxes devraient remplacer dès 2020 les taxes actuelles sur le CO2 grevant les combustibles fossiles, ainsi que les taxes perçues sur l’emploi du réseau électrique à haute tension et celles prélevées sur la consommation électrique, destinées à la rétribution à prix coûtant (taxe RPC) des productions issues de sources renouvelables. Le montant des nouvelles taxes serait fixé et adapté de manière à obtenir l’effet incitatif (ou dissuasif sur la consommation) souhaité (alinéa 2).

L’alinéa 4 du nouvel article prévoit à terme une redistribution du produit des taxes «à la population et à l’économie». L’article constitutionnel 197, ch.12 montre qu’il faudra être patient pour en arriver là: les dispositions transitoires parlent d’une durée de 25 ans (soit au plus tôt en 2045) pour l’abandon progressif des subventions existantes (RPC, subventions pour l’isolation des bâtiments, etc.…). Enfin, l’alinéa 5 de l’art. 131a prévoit explicitement la compensation des réductions de la redevance poids lourds (RPLP) que pourrait induire la taxation des carburants.

Le Message présente les simulations de quatre niveaux de taxation et leurs effets sur la consommation énergétique des Helvètes. Nous ne retiendrons que la plus onéreuse, apparemment la seule à même de s’approcher des objectifs que s’est fixés la Confédération. On parle dans cette variante de 4,5 cts de taxe par kWh électrique, de 89 cts/litre pour l’huile de chauffage et de 26 cts/litre à la pompe. La taxation différenciée des combustibles et des carburants s’explique par la crainte de favoriser le tourisme à la pompe dans les zones frontalières et de pénaliser les zones de montagne ou reculées de la Suisse, fortement tributaires des transports individuels.

A terme, ces taxes devraient rapporter l’équivalent de 6,1 milliards de francs par année. Le Message parle pour 2030 d’une redistribution de 1,1 milliard pour les mesures d’encouragement encore en vigueur, de 2,2 milliards à la population sous forme de subside à l’assurance-maladie (255 francs par habitant et par an) et de 2,8 milliards aux entreprises sous forme de réduction de leur contribution aux assurances sociales. Cette «opération blanche» devrait récompenser les particuliers ou les entreprises économes en énergie, puisqu’ils recevront plus par la redistribution qu’ils ne paieront de taxe.

* * *

Quelques défauts et imprécisions de la première mouture ont été corrigés suite à la consultation de cet été, mais il subsiste de nombreux point de discussion. L’abandon de la taxe CO2, tout d’abord, singularise la politique énergétique de la Suisse et l’isole de l’Europe, les taxes prévues sur les combustibles étant sans commune mesure avec la fiscalité énergétique appliquée dans les pays qui nous entourent. L’alinéa 3 du nouvel article constitutionnel prévoit d’ailleurs des exonérations totales ou partielles pour les entreprises «dont l’exploitation ou la production impliquent une très forte intensité énergétique». L’application de cette clause prévoit d’ores et déjà de belles bagarres législatives lors de la préparation de la loi d’application: il faudra appliquer cette exonération de manière assez large pour éviter les délocalisations industrielles!

Les nouvelles taxes auront une influence sur la fiscalité des entreprises, sur celle des indépendants et sur bien d’autres taxes et émoluments. Pourquoi dès lors l’alinéa 5 du nouvel article ne se soucie-t- il de l’effet des nouvelles taxes que sur la seule RPLP? Les transporteurs routiers semblent avoir quelques lobbyistes efficaces dans les services fédéraux…

Une taxe à la consommation purement incitative sur l’électricité ne résout en rien les problèmes de la production hydroélectrique indigène. Ses coûts de production dépassent actuellement le prix d’achat sur le marché européen; l’hydroélectricité ne pourra donc survivre que par un subventionnement à titre de source renouvelable. Or, le projet constitutionnel prévoit précisément la suppression de tous les subsides à la production (y compris à terme la RPC). Une telle politique ne peut qu’amener à une Suisse abandonnant progressivement ses barrages et ses éoliennes, faute de rentabilité, et devenant dépendante de l’étranger pour son approvisionnement électrique.

Le mode de taxation et de redistribution, enfin, ne manquera pas d’influencer l’activité économique du pays. La taxation touche en premier lieu les entreprises des secteurs primaires et secondaires (effectifs limités, outils de production gourmands en énergie), alors que les bénéficiaires de la restitution seront à rechercher d’abord dans le secteur tertiaire (effectifs nombreux, besoins énergétiques faibles). Les paysans, déjà pris à la gorge par la baisse des prix agricoles, n’ont pas besoin de pénalité énergétique en sus. Quant à l’industrie, sa contribution à la réduction de la consommation énergétique suisse risque de passer par sa délocalisation sous des cieux moins regardants aux émissions de CO2. La Suisse de demain semble devoir être peuplée de banquiers, d’assureurs et de fonctionnaires assurant l’approvisionnement du pays depuis l’étranger.

Enfin la taxation «incitative» voulue par cet article constitutionnel a l’ambition d’apporter une solution commune à deux problématiques bien distinctes. La première concerne les énergies fossiles et les émissions de CO2 liées à leur emploi. La réduction de consommation obéit à des engagements internationaux de la Suisse. Le système de taxation proposé par le projet d’article 131a peut éventuellement conduire au but, mais les exceptions d’application seront aussi nombreuses que pour l’actuel système de taxation des émissions de gaz à effet de serre. Dans le domaine électrique, il s’agit de répondre à la volonté unilatérale de la Suisse de sortir rapidement du nucléaire. L’art 131a est une réponse inadéquate à cette volonté, car il pénalise à terme les autres productions indigènes et augmente la dépendance de la Confédération vis-à-vis de l’étranger. Nous le combattrons lorsqu’il sera soumis au peuple et aux cantons.

Notes:

1 FF 2015, p 7165 et ss.

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