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† Georges Perrin

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2124 7 juin 2019

Avec Georges Perrin disparaît le dernier participant du premier camp de Valeyres, en 1945. L’équipe, réunie chez les Morel autour de M. Regamey, allait fournir une volée exceptionnelle de cadres à la Renaissance vaudoise.

Georges Perrin fut médecin généraliste à Grandson dès 1950. Il écrivit nombre d’articles pour La Nation, traitant en particulier des domaines liés à sa profession, la déontologie médicale, l’assurance-maladie, l’acharnement thérapeutique, le suicide et l’assistance au suicide, l’euthanasie, le clonage humain, l’avortement, l’homosexualité et le sida, la toxicomanie, mais aussi l’hôpital de la Vallée, telle initiative fédérale sur la médecine de famille ou telle autre sur les hôpitaux de proximité. Il fut la cheville ouvrière de notre cent vingt-sixième Cahier de la Renaissance vaudoise, La lutte contre la drogue dans les cantons romands, paru en 1993.

M. Regamey admirait la sûreté et l’élégance de sa plume, cette élégance naturelle qui ne se soucie pas d’elle-même.

Il accepta également diverses responsabilités dans nos actions politiques, et le fit avec le même soin calme et exhaustif qu’il mettait à rendre compte d’une étude historique ou à faire l’exégèse d’une loi fédérale. Mais, en politique, le rythme de l’action est prioritaire, et il aimait trop aller au fond des choses pour être un activiste pur et dur. Sa nature le portait plutôt à considérer les problèmes sous tous les angles et à se donner entièrement à la personne qui lui parlait, avant de dire, d’écrire ou de faire quoi que ce soit.

Sa pensée se référait non seulement à la philosophie et à la théologie, mais aussi à la psychiatrie, à l’anthropologie, à la biologie. Son cheminement réflexif prudent, cadencé par les petits nuages qui sortaient de sa pipe, débouchait sur des conclusions exactement mesurées, prononcées de sa voix fine et grasseyante.

Son humilité méthodique dans l’acquisition des connaissances n’en débouchait pas moins sur des jugements précis et nettement formulés, si choquants qu’ils pussent être aux yeux d’un esprit moderne. Certains voyaient une contradiction entre son ouverture et ses certitudes. Reproche superficiel, car son vrai souci était de tenir les deux plans sans rien perdre d’aucun: quelque douloureux que fût le cas concret, il ne biaisait jamais sur les principes; et, si nets et évidents que fussent ces principes, il ne méprisait jamais les difficultés existentielles, les faiblesses, les souffrances et les nécessités de celui qui les enfreignait. Cette double exigence traversait ses écrits d’une tension continuelle. Elle tirait le lecteur en avant.

C’est qu’il ne prétendait pas conclure en toute chose. S’il ne jugeait pas, ce n’était pas par relativisme philosophique ou indifférence à autrui, mais parce qu’il savait reconnaître les limites humaines, et les siennes propres, face au caractère unique et irréductible d’une personne concrète.

Lors de son enterrement, son fils aîné, Daniel, en parla comme de son «meilleur ennemi». Leurs désaccords les réunissaient, toujours à nouveau, dans d’interminables discussions. Daniel Perrin raconta aussi avoir entendu dans un bistrot de Grandson: «Le docteur est un bon type, mais il a raté l’éducation de ses enfants…» Vu la personnalité de ceux-ci, l’éducation stricte que Georges et Josette Perrin leur imposèrent engendra sans doute une rétroéducation des enfants sur les parents, qui les poussait non à esquiver les conflits, mais à en approfondir la signification et, finalement, à en tirer des liens renforcés.

Respectueux des personnes sur le fond, Georges Perrin n’était pas un «gentil». On se rappelle «Le bon cœur», cet article dévastateur consacré à un recueil d’articles de MM. Jean Martin, médecin cantonal, et Claude Schwab, pasteur. Il en démontait pièce à pièce les platitudes égalitaires, la complaisance émotionnelle, la soumission navrante à l’esprit du temps, les citations bibliques instrumentalisées à contresens. Il parachevait l’exécution par cet ironique compliment: «Revenons à nos auteurs au bon cœur, et ne concluons pas sans les remercier d’attirer l’attention des lecteurs de 24 heures sur d’importants faits de société.»

Prié de donner son avis sur le manuscrit d’un roman, il livra cinq pages d’une analyse détaillée de la forme et du fond. Il n’en subsistait pas grand-chose, mais c’était présenté d’une façon si amicalement, si impitoyablement démonstrative que l’auteur, reconnaissant, ne put que prendre acte.

Bien que très engagé dans tout ce qu’il faisait, il était dépourvu de cette sentimentalité à l’américaine, si envahissante aujourd’hui («je t’aime, papa…», «moi aussi, je t’aime…»), et qu’il devait trouver terriblement théâtrale, superficielle  et vulgaire. L’affection qu’il portait à sa famille et à ses amis, ses engagements professionnels et politiques, ses affirmations de foi avaient toujours quelque chose d’incroyablement objectif.

On pourrait encore parler de son action dans sa paroisse et dans l’Eglise en général, vécue dans une perspective constamment œcuménique, rappeler ses engagements sociaux et son rôle dans les Concerts de Grandson, ses lectures innombrables et son insatiable curiosité, évoquer les agapes extraordinaires, où il faisait goûter, après les avoir chemisés, les crus somptueux et variés qu’il avait reçus de ses patients…

Nous partageons le chagrin de sa femme, de ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants. Nous perpétuerons sa mémoire.

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