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Occident express 31

David Laufer
La Nation n° 2124 7 juin 2019

Une petite affichette a fait son apparition sur la porte d’entrée de mon immeuble. Cadre noir et police de caractère sobre, elle arbore une photo noir et blanc de mon voisin du rez-de-chaussée, professeur de faculté, membre de l’Académie serbe des sciences et des arts, décédé hier matin à un âge respectable. On s’arrête et on déchiffre l’annonce avec d’autres voisins, et on commente, et on se souvient, et puis on repart. En Serbie, la mort s’invite encore dans la vie des gens sans demander. On n’en fait pas étalage, on ne fait pas venir les pleureuses mais elle est là, on la voit sur les portes d’immeubles, sur les portails, sur les lampadaires, sur les troncs d’arbres même parfois. Dans les cimetières, les tombes sont fleuries et entretenues. Gare à qui ne se rend pas régulièrement sur celle de ses proches. Une année après un décès, le choc de la disparition atténué, on se réunit à nouveau et on célèbre le défunt autour d’une bonne table, ce qui est une meilleure façon de lui dire adieu sans s’étrangler dans les sanglots et les bonnes paroles de circonstances. Pour autant, on ne s’y complaît pas. Ainsi la tradition veut que l’on enterre le mort le jour suivant son décès et les funérailles ne sont que rarement de grosses affaires. Pas ou peu de discours, on n’est pas là pour se rouler dans l’affliction, les lunettes noires et les nez enfouis dans de gros mouchoirs. Aux funérailles d’une tante de mon épouse, les employés municipaux, bleu de travail et cigarette aux lèvres, avaient descendu la bière sans ménagement, sans manque de respect non plus, à l’aide de grosses cordes usées. C’était leur boulot, le nôtre étant de rejoindre prestement le domicile de la défunte pour y descendre moult prunes et petits fours. La récente disparition d’un ami proche, en Suisse, m’a rappelé à quel point, dans une société riche et sophistiquée, la mort est devenue tout à la fois honteuse et insupportable. On entoure le mourant de mille secrets et demi-mensonges. La médecine et la science ont oblitéré toute émotion, les blouses blanches ont remplacé les soutanes noires, troqué l’impersonnelle et antique litanie pour un jargon glacé et obscène. Et tout coûte un appartement, tout est atrocement compliqué à organiser, tout ajoute l’insulte à l’injure comme disent les Anglais. Comment peut-on être heureux, comment peut-on goûter la vie lorsqu’on prétend cacher et nier son inéluctable dénouement? Qu’il semble lointain le temps où Ramuz pouvait intituler son roman «Présence de la mort».

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