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La proportionnelle à l’exécutif?

Jean-François Cavin
La Nation n° 2163 4 décembre 2020

M. Dylan Karlen, député UDC, a déposé une initiative constitutionnelle parlementaire visant à ce que le Conseil d’Etat et les municipalités soient élus selon la représentation proportionnelle (RP) des partis. Il invoque les bienfaits de la concordance et juge cohérent que la composition des exécutifs reflète celle des parlements. Chacun comprend d’ailleurs que cette réforme assurerait un siège de conseiller d’Etat à l’UDC, qui n’a pas pu présenter de candidat apte à convaincre l’électorat depuis la disparition de Jean-Claude Mermoud.

Il y a peu de cas où la composition du gouvernement obéit aux règles de la représentation proportionnelle. A l’étranger – où l’élection populaire des gouvernements est quasi inconnue, présidence mise à part – le gouvernement désigné le plus souvent par le chef de l’Etat, avec ou sans ratification par le Parlement, regroupe rarement l’ensemble des partis d’importance; il est généralement monocolore, ou dépend d’une coalition longuement négociée; il fait face à une opposition.

En Suisse, seul le Tessin, sauf erreur, élit son conseil d’Etat à la proportionnelle, cependant que Fribourg et le Valais connaissent ce système pour les exécutifs communaux. Dans les faits, les gouvernements cantonaux sont souvent panachés. Pour le Conseil fédéral, longtemps occupé totalement ou très majoritairement par les partis dominants, la tendance est aujourd’hui de tenir compte plus ou moins de la force des partis; mais il y a d’autres critères, la langue, le sexe, le canton, et l’Assemblée fédérale se sent très libre dans le choix des personnes, les candidats des groupes politiques n’étant – et de loin – pas toujours élus.

Cette tendance de la politique helvétique à constituer des gouvernements composites s’expliquerait par notre goût du consensus. L’esprit civique nourri par la démocratie directe veut que le membre ou le sympathisant d’un autre parti soit certes un adversaire, mais non un ennemi: tous citoyens, tous dignes d’attention. Et les institutions renforcent la recherche de la concordance: l’exercice du droit de référendum contraint les gouvernants à mener une politique qui trouve l’agrément populaire – lequel ne se porte guère vers les solutions extrêmes. La conduite de l’Etat est donc empreinte d’une certaine modération et bénéficie d’une certaine continuité. Le désavantage est un manque de réactivité lorsque les circonstances appelleraient une action résolue, ainsi que le risque de dissensions internes paralysant le collège. Au reste, rien ne veut que la composition de l’exécutif reflète celle du Parlement, car les rôles diffèrent: le gouvernement doit diriger dans un souci de cohérence; l’assemblée discute, accepte, refuse, amende en fonction des sensibilités qui y sont représentées.

Quoi qu’il en soit, notre pratique du consensus avec des exécutifs multicolores n’obéit pas à l’automatisme arithmétique de la RP. Celle-ci supprime toute liberté dans la composition politique du collège – et le choix d’une majorité claire peut être bénéfique selon les circonstances; surtout, elle enlève aux électeurs le choix des personnes, dans tous les cas où les partis proposent autant de candidats qu’ils obtiendront probablement de sièges. Le conseiller d’Etat UDC serait élu non par les Vaudois, mais par l’assemblée de son parti, qu’il ait ou non l’aptitude à la fonction. Le peuple ne choisit certes pas toujours les meilleurs, mais, dès lors que le principe de l’élection populaire est admis, il est sain que les candidats se présentent en public, à l’air libre, et non dans l’espace confiné des salles de réunion de leurs coreligionnaires.

La concordance, déjà bien assurée si ce n’est trop dans l’ensemble de nos moeurs publiques, ne gagnerait pas forcément à l’instauration de la RP; par exemple, avec cinq municipaux au lieu de six, la coalition majoritaire rose-verte-rouge de la gauche lausannoise garderait la main. En fait, la proportionnelle favoriserait moins l’équilibre de l’action politique que celui de l’attribution des prébendes, ce qui est d’ailleurs le principal enjeu des joutes électorales. Le régime des partis donne déjà une prime à l’idéologie et à la démagogie. N’allons pas de surcroît privilégier leur cuisine interne.

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